
Crise ou pas, Yasmina Khadra ne perd rien de son humour. La première chose qu’il ferait après le déconfinement? «La danse du ventre sur les Champs-Elysées», nous lance-t-il.
L’écrivain, auteur de «Ce que le jour doit à la nuit», «L’attentat», «Les anges meurent de nos blessures», ou encore, «La dernière nuit du Raïs», se dit un «confiné naturel». Il nous livre son regard sur cette crise mondiale, ses journées durant cette période de «détention consentante», mais aussi ses projets.
Après nous avoir fait vivre les aventures de son dernier polar (L’outrage fait à Sarah Ikker) à Tanger, l’écrivain algérien le plus célèbre de sa génération nous plonge dans l’Algérie des années 60, avec un roman à paraître le 20 août prochain aux éditions Julliard.
- L’Economiste: Qu’évoque pour vous cette crise mondiale du coronavirus?
- Yasmina Khadra: Elle m’inspire peu de choses heureuses et nous interpelle surtout quant à la fragilité de l’espèce humaine qui n’a de cesse de se faire violence depuis la nuit des temps. Pour moi, cette pandémie est une prophétie, elle nous met en garde contre nos vanités et notre démesure. L’homme se prenait pour dieu sur terre, une terre nourricière qu’il foule au pied et martyrise avec une rare férocité et une effarante ingratitude. Que de pollution, que de vandalisme, que de déforestations outrancières, que de guerres et de menaces nucléaires. La nature ne s’entend plus vivre dans le chahut des Hommes. En particulier, ces dernières années où tout se radicalise, du féminisme au syndicalisme, de la démocratie aux idéologies. Le racisme explose, le fanatisme exulte et la bêtise se veut une révolution. Eh bien, voilà, un virus invisible à l’œil nu, jusque-là insoupçonnable, se déclare sans crier gare et met l’Humanité entière aux arrêts. C’est dire combien nous sommes si peu de choses, en dépit de nos prouesses scientifiques et intellectuelles. Ça donne à réfléchir, n’est-ce pas? Personnellement, je trouve que c’est une bonne chose qu’un microbe de basse envergure nous cloue le bec. Il était temps que Dame Nature nous rappelle à l’ordre.
- Votre plume peut-elle s’inspirer d’un tel évènement?
- J’espère que non. Les lecteurs attendent le déconfinement mental avant le physique. C’est un énorme traumatisme qui nous frappe. Nous avons besoin de rêver après un tel cauchemar.
- Un écrivain peut-il vivre en confinement?
- L’écrivain, à l’instar de l’artiste, est un confiné naturel. Il s’exile dans sa bulle et se livre corps et âme à ses inspirations. Personnellement, je suis habitué à cette détention consentante, sauf qu’avec le Covid-19, je ne peux plus sortir au soleil me dégourdir les jambes et l’esprit, ni aller m’offrir un bon café à la brasserie du coin encore moins retrouver mes amis. Je passe mes journées collé à la vitre, à regarder le beau temps me faire un pied de nez. Sinon, je peaufine mon dernier roman, m’use les yeux dans un bouquin ou somnole en regardant une série barbante à la télé.
- Quelle est la première chose que vous feriez après cette crise?
- J’irai faire la danse du ventre sur les Champs-Elysées… Sérieusement, je vais voir des amis et j’inviterai chez moi les êtres qui me sont chers et qui m’ont atrocement manqué.
- Pour vous, y aurait-il un avant et un après-coronavirus?
- Sans doute. Une nouvelle ère est amorcée, mais j’ignore ce qu’elle nous réserve. Je voudrais, après cette débâcle plurielle sans précédent, que nous puissions réaliser combien le facteur humain est précieux et que l’on érige nos projets de société autour de lui. Si la Finance a exclu l’Homme de son programme pour nous mener, finalement, à la ruine de nos âmes et de nos repères, essayons, cette fois, de mettre l’Homme au centre de l’ensemble de nos intérêts et de nos ambitions, peut-être finirions-nous par trouver enfin la voie de notre salut.
- La politique, une parenthèse dans la vie de Yasmina Khadra?
- La politique politicienne est une chose qui m’horripile et me désole. Elle est surtout du sable mouvant pour les idéalistes et les gens de bonne volonté. Je crois que je suis plus utile à mon peuple en tant qu’écrivain. J’essaye de convaincre avec des mots, avec des idées, avec des vœux pieux parfois, mais avec du cœur. La vraie carrière, ce n’est pas ce qu’on récolte, mais ce qu’on laisse derrière soi.
- Votre dernier polar avait pour scène Tanger, où sera le prochain?
- Mon prochain roman revient en Algérie des années 1960, juste après l’Indépendance. C’est l’histoire d’un instituteur que son épouse abandonne et qui choisit la clochardisation pour tenter de semer ses vieux démons. Un roman idéal pour le déconfinement. Il sortira le 20 août aux éditions Julliard.
Algérie: Être ou disparaître!
- Que pensez-vous de l’Algérie d’aujourd’hui, de sa jeunesse à la fois rêveuse et révoltée?
- L’Algérie est en train de renaître au forceps. Forcément, ça préoccupe. Mais, je reste persuadé qu’elle accouchera d’une aube digne de ses sacrifices. Notre jeunesse le sait. Elle s’éveille enfin à ses responsabilités et aux tâches sacrées qui lui incombent: Être ou disparaître. Un jour, et c’est mon plus grand rêve, les frontières sauteront pour que le Maghreb jaillisse à la lumière de ses prières et de ses aspirations. Ce jour-là, nous pourrions dire que nous sommes enfin libres et regarder nos morts dans les yeux sans rougir.
Propos recueillis par Ahlam NAZIH
Les écrits de jeunesse
Vilipendés par le journal Le Monde, les premiers écrits de Yasmina Khadra montrent la guerre civile de son pays. Il s’en expliquera dans le plus époustouflant, le plus beau des textes «L’Ecrivain». Un texte qu’il devrait étudier en littérature française à l’école.



Un auteur inclassable...

Auteur d’une trentaine d’ouvrages, Yasmina Khadra est traduit et publié dans une cinquantaine de pays. C’est en 1997 que Mohammed Moulessehoul adopte définitivement le pseudonyme de Yasmina Khadra, lors de la sortie de son livre «Morituri», qui le fait connaître du grand public.
Ses différents romans rencontrent de très grands succès à travers le monde. Par exemple, «l’Attentat» a été retenu par les jurys du Goncourt et du Renaudot en 2005. «Ce que le jour doit à la nuit» a été élu meilleur livre de l’année 2008 par le magazine Lire et a reçu le prix France Télévisions. Adaptés au cinéma, au théâtre (en Amérique latine, en Afrique et en Europe) et en bandes dessinées, les ouvrages de Yasmina Khadra sont traduits en une cinquantaine de langues.
Plus récemment, c’est le roman Khalil (2018) qui a attiré l’attention, relatant les attentats de Paris, en novembre 2015, à travers les yeux de Khalil, kamikaze. En 2011, l’Académie française a décerné à Yasmina Khadra le Grand prix de Littérature Henri Gal, Prix de l’Institut de France, pour l’ensemble de son œuvre.
C’est la deuxième fois que le romancier est récompensé par cette institution qui lui avait déjà décerné, en 2001, la médaille de Vermeil.
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