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Supriya Sahu, à la croisée de la crise climatique climatique et de l’égalité femmes-hommes

Par L'Economiste | Edition N°:6470 Le 09/03/2023 | Partager

Chef de file de la première mesure nationale relative à la lutte contre l’impact du dérèglement climatique, la pionnière indienne est convaincue que les femmes doivent faire partie de la solution.

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Depuis 2019, Supriya Sahu, 54 ans, coordonne les efforts des autorités tamoules pour lutter contre les effets dévastateurs des conditions météorologiques extrêmes (Ph. R. Ravindran, The Hindu)

Le Tamil Nadu est l'un des Etats les plus vastes et les plus urbanisés de l'Inde. C'est aussi l'un des plus menacés par le dérèglement climatique. Selon un rapport gouvernemental, cet Etat du Sud est l’un des plus exposés aux phénomènes météorologiques extrêmes dans le pays, notamment aux cyclones et aux périodes de sécheresse. Depuis 2019, Supriya Sahu, 54 ans, coordonne les efforts des autorités tamoules pour lutter contre les effets dévastateurs des conditions météorologiques extrêmes. Un combat dans lequel elle met les femmes en première ligne.

Avant d’être nommée secrétaire générale adjointe du département de l’Environnement, du Changement climatique et des forêts de l’Etat du Tamil Nadu, Sahu exerce pendant plusieurs décennies dans la fonction publique, où elle acquiert une grande expertise en matière d’environnement. Des compétences importantes pour relever les défis climatiques auxquels est plus que jamais confronté le Tamil Nadu. 

En 2022, cet Etat devient le premier en Inde à lancer une initiative sur le changement climatique avec des objectifs et des domaines d'intervention spécifiques. La Tamil Nadu Green Climate Company (TNGCC) a trois missions: accroître la surface forestière et arborée de l'Etat, lutter contre le changement climatique et préserver les zones humides. 

Supriya Sahu préside la TNGCC et supervise un conseil d'administration composé exclusivement d’hommes. Une situation inhabituelle qu'elle prend très au sérieux. Seuls 1.527 des 11.569 fonctionnaires qui ont rejoint la fonction publique administrative indienne (Indian Administrative Service ou IAS) entre 1951 et 2020 sont des femmes, montre le projet de data journalisme IndiaSpend. Cela représente environ 13% des effectifs. Interrogée sur le fait de travailler dans un domaine majoritairement masculin, Sahu affirme que dans n’importe quel emploi, il faut faire ses preuves, et ce quel que soit son genre.

Son assurance lui vient peut-être de son éducation en tant que fille d'un fonctionnaire de l'IAS, et de ses précédents succès professionnels. Parmi les étapes importantes de sa carrière, son mandat de collectrice au sein du district des Nilgiris. Situé à la frontière du Tamil Nadu, du Kerala et du Karnataka, il est sensible sur le plan écologique. Cette expérience laisse en elle «une marque indélébile». «C'est à Nilgiri que j'ai réalisé qu'au niveau du district, les gens font davantage confiance aux femmes fonctionnaires pour cerner leurs problèmes», explique Supriya Sahu. Après avoir constaté que des animaux tels que les éléphants et les bisons mangeaient les emballages en plastique jetés par les touristes, son équipe et elle font interdire l'utilisation de plastiques à usage unique dans tout le district. Cette initiative est alors saluée par le Programme des Nations unies pour le développement. «Nous avons mis en place l'interdiction des produits en plastique à usage unique il y a 23 ans, alors que personne ne pensait à leur impact sur la planète». Sahu attribue ce succès à l'implication des habitants locaux et de groupes d'entraide de femmes. Elle est convaincue que les femmes apportent une certaine sensibilité et appréhendent les problèmes différemment, notamment quand il s’agit du dérèglement climatique. «Lorsque vous sortez, regardez simplement ce qui se passe autour de vous. Tout tourne autour des femmes. Vous allez dans les champs, elles font le même travail que les agriculteurs, elles gardent le bétail et elles s'occupent des enfants. Elles font aussi la cuisine. Mais on les considère comme des ouvrières, et non comme des agricultrices. C'est la femme qui devrait être au centre des initiatives en matière de lutte contre le changement climatique. Le cas échéant, ce sera une forme d'injustice climatique».

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La ville de Chennai, capitale de l’Etat de Tamil Nadu. L'Inde devrait connaître une explosion de sa population urbaine dans les décennies à venir, mais ses villes ne peuvent déjà pas faire face et le changement climatique rendra les conditions de vie encore plus difficiles (Ph. AFP)

Une autre initiative locale que Sahu met en avant: le programme d’initiation à la problématique du changement climatique. Celui-ci consiste à créer des vidéos et publications éducatives en langue tamoule portant sur le changement climatique destinées à être partagées sur les réseaux sociaux. «La majeure partie de ce programme s'adressera aux femmes», assure-t-elle.  La campagne de sensibilisation «Meendum Manjappai» en est un troisième exemple. Elle vise à encourager l'utilisation de cabas en tissu jaunes éco-friendly plutôt que de sacs en plastique, tout en faisant en sorte que des femmes puissent en tirer profit. «Je me suis rendue dans la banlieue de Madurai où j'ai rencontré un groupe de 15 femmes qui travaillaient dans un petit atelier de couture. Elles y confectionnaient des sacs de différentes tailles et modèles. Nous leur avons demandé de produire des manjappais sacs en tissu, ndlr., ce qui leur permet de gagner un salaire décent». Supriya Sahu souligne néanmoins que de nombreuses initiatives finissent par devenir un fardeau pour les femmes, dont le travail est souvent invisible. «C'est pourquoi il faut que le monde réfléchisse à  comment alléger la charge qui pèse sur les femmes».

Première bourse du genre en Inde

D’après un rapport des Nations unies, les femmes sont plus vulnérables que les hommes aux impacts de la crise climatique puisqu’elles constituent un pourcentage important des communautés pauvres dans le monde entier, et que leurs rôles, responsabilités, champs de décision, accès à la terre et aux ressources naturelles, opportunités et besoins sont très différents de ceux de leurs homologues masculins. Selon Supriya Sahu, les mesures relatives à la lutte contre l’impact du dérèglement climatique mises en place dans le Tamil Nadu sont pensées pour bénéficier aux femmes. Par exemple, le gouvernement de l'Etat a lancé, en mars 2022, le programme Green Fellowship pour engager les jeunes dans la conception et la mise en œuvre de nouvelles politiques environnementales. «C'est la première bourse de ce genre en Inde, et nous allons avoir 40 boursiers qui travailleront sur les enjeux climatiques pendant deux ans, précise-t-elle. Nous allons mettre l'accent sur la sélection de boursières».

                                                                   

Depuis 1980, chaque décennie plus chaude que la précédente

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(Ph. UNOCHA/Liz-Loh-Taylor)

Les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde, dépassant toutes de plus d’un degré les températures de l’ère préindustrielle, selon le rapport d’une agence onusienne publié en janvier 2023 à Genève. Un nouveau document de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) confirme ainsi ses prévisions de novembre dernier, qualifiées alors de  «chronique du chaos climatique» par le chef de l’ONU, António Guterres.

Ces huit années les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial sont le résultat «de l’augmentation constante des concentrations de gaz à effet de serre et de la chaleur accumulée», selon ce rapport de six grands ensembles de données internationales sur les températures, regroupés par l’OMM. Au niveau mondial, l’année écoulée se classe au cinquième rang, seulement battue par des années récentes, et a encore été marquée par un cortège de phénomènes extrêmes qui illustrent les conséquences du réchauffement climatique. Selon l’OMM, la probabilité de dépasser temporairement- la limite de 1,5°C de l’Accord de Paris sur le climat augmente avec le temps. De plus, la fin de l’année 2022 a été marquée par de violentes tempêtes qui ont touché de vastes régions d’Amérique du Nord. «Il est nécessaire d’améliorer la préparation à de tels événements extrêmes et de veiller à ce que nous atteignions l’objectif des Nations unies en matière d’alertes précoces pour tous dans les cinq prochaines années», a souligné le chef de l’OMM, relevant que seule la moitié des 193 membres disposent d’un système d’alerte précoce approprié. L’Accord de Paris, conclu en 2015 sous l’égide de l’ONU, vise à limiter le réchauffement bien en dessous de 2 degrés Celsius, si possible 1,5 degré. Pour y parvenir, les pays du globe doivent toutefois tenir leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Or selon l’agence onusienne basée à Genève, chaque décennie a été plus chaude que la précédente, depuis les années 1980. «Cette tendance devrait se poursuivre».  A noter que les chiffres des températures seront intégrés dans le rapport final de l’OMM sur l’état du climat en 2022, qui sera publié en avril 2023, à l’occasion de la Journée de la Terre.

Par Geetha Srimathi S

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