Page 9 - Dossier Enseignement-ingénierie
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IX
ans de fidélité
EnsEignEmEnt supériEur
Les nouveaux enjeux de la formation des ingénieurs
n Le digital s’impose dans les CV n Le savoir-être, plus que jamais prisé
Indiquer ses compétences en digital sur son CV devient
un must, au même titre que les langues étrangères, selon «Les formations d’ingénieurs ont bien évolué,
Nicolas Cheimanoff. «Tous les étudiants doivent parler tout simplement parce que les industriels ont une
digital!», insiste-t-il. Cela peut se traduire par des modules vision différente du métier. Il y a quelques années, ils (Ph. BJ)
suivis durant le cursus, des certifications IT, la participation avaient besoin de compétences techniques et scienti-
à des projets numériques… Beaucoup d’étudiants prennent, fiques. Tout était basé sur cela, et ils choisissaient les
en outre, part à des hakathons, boot camps… «Si vous négli- meilleurs des promotions. C’est la vision qui a préva-
gez cet aspect sur votre CV, c’est comme si vous enleviez lu au cours des 20 dernières années. Maintenant, les
une langue», estime Cheimanoff. industriels se rendent compte que ces aspects seuls
Certains établissements nouent des partenariats avec les ne suffisent pas. Ils cherchent à la fois du savoir-faire
géants IT pour proposer des certifications gratuites à leurs et du savoir-être: de l’intelligence relationnelle, de
étudiants. C’est le cas de l’ENSAM Casablanca, qui a créé l’autonomie, de la capacité d’adaptation et du travail
une académie IT, proposant des certifications en big data, en équipe, de l’esprit critique… Les écoles n’ont donc
cyber sécurité, intelligence artificielle, internet des objets, de choix que de se réformer et faire évoluer leur offre Brigitte Jamart, doyenne du collège
programmation… En 2021, l’école a accueilli une Academy de formation» ingénierie et architecture de l’UIR
Support Center de Huawei.
n Séjours à l’étranger et doubles diplômes n Tout se jouera sur «l’empowerment» des étudiants
se multiplient
«Il est important pour un étudiant de passer au moins 6 «L’empowerment, ou la capacitation, c’est ce qui
mois de sa vie à l’étranger, pour voir différentes façons de permettra à l’étudiant d’acquérir de nouvelles com-
vivre et développer sa capacité d’adaptation», pense Brigitte pétences après la sortie d’école, d’avoir une pen- (Ph. AM)
Jamart. Toutes les écoles d’ingénieurs, publiques et privées, sée créative, une facilité à affronter le changement
ont multiplié les partenariats pour offrir à leurs étudiants une imposé par les évolutions technologiques, et qui sont
expérience internationale, avec en prime une possibilité de devenus extrêmement rapides. Nous ne connaissons
double diplômation. Le collège ingénierie et architecture pas les besoins futurs des industriels. C’est pour cela
de l’UIR, par exemple, propose des doubles diplômes à ses que nous essayons de former un élève ingénieur avec
meilleurs étudiants, et des semestres d’échanges aux autres, cette capacité d’adaptation, d’action, et d’autofor-
grâce à ses partenariats avec les universités de Nantes et de mation, car il devra acquérir seul de nouvelles com-
Lorraine en France, et avec l’université du Mississipi et l’ins- pétences. Nous parlons depuis toujours d’esprit ingé-
titut Georgia Tech aux Etats-Unis. Du côté du public aussi, nieur. Aujourd’hui, c’est la capacitation qui prime.
la tendance s’est banalisée. «Je ne crois pas qu’il y ait une Chaque établissement doit, en outre, créer un éco-
école d’ingénieurs aujourd’hui qui ne propose pas une année système local pour permettre à ses étudiants d’inno- Ahmed Mouchtachi, directeur de l’EN-
ou deux d’échange à l’étranger. La quasi-totalité des parte- ver, en dehors des formations. Dans notre école nous SAM Casablanca
nariats sont avec la France, car le système est similaire. Mais avons monté un coworking space totalement équipé, où les élèves ingénieurs peuvent
on commence à s’orienter vers d’autres destinations, comme développer tout ce qu’ils souhaitent. Il faut mettre l’étudiant au centre de nos préoccu-
les Etats-Unis, voire la Chine», relève Ahmed Mouchtachi. pations quotidiennes, autrement, nous aurons raté notre mission!»
A l’ENSAM, les étudiants peuvent passer une année ou deux
en France, pour obtenir un master en parallèle à leur diplôme
d’ingénieur, ou un double diplôme d’ingénierie. n L’ingénieur du futur devra se tourner vers l’Afrique
n L’Afrique, c’est l’avenir! «L’ingénieur du futur devra être adaptable, ca- (Ph.
Dans les prochaines décennies, le monde se tournera plus pable d’humilité vis-à-vis du terrain, d’accepter les
vers le Sud. L’Afrique, avec ses ressources minérales, éner- différences et la contradiction, international dans
gétiques, agricoles… pèsera lourd dans ce nouveau monde. sa tête, avoir un esprit entrepreneuriat, et surtout,
Les futurs ingénieurs devront apprendre à travailler avec le croire en l’Afrique. Je pense que dans 50 ans nous
Sud. «Au Maroc, on a l’habitude de regarder vers l’Europe pourrions relever les mêmes ingrédients. L’enjeu
ou les Etats-Unis, et peu vers la Malaisie, le Brésil, le Nigé- majeur, c’est l’Afrique. Le continent possède 30%
ria, le Rwanda… Or, c’est l’avenir des ingénieurs maro- des ressources minérales de la planète et 60% des
cains», souligne Nicolas Cheimanoff. «Il faudrait regarder terres arables, sans compter ses ressources éner-
de plus près ce qui se pratique en Amérique latine et en Asie gétiques. Actuellement, les ressources sont massi-
du Sud Est pour essayer d’imaginer ce qui peut se produire vement exploitées pour être exportées, sans valeur
en Afrique», ajoute-t-il. A l’EMINES, et plus globalement à ajoutée. La Mauritanie, par exemple, exporte sa
l’UM6P, tout le discours est orienté Afrique. Même pour les principale richesse, le fer, à 70 dollars la tonne, et
programmes de mobilité, les étudiants sont d’abord envoyés importe de l’acier (contenant 98% de fer) à 700 dol- Nicolas Cheimanoff, directeur de
dans des pays du Sud (Pérou, Brésil, Mexique, Turquie, lars la tonne. La côte d’Ivoire et le Ghana concentrent l’EMINES (UM6P)
Emirats Arabes Unis, Sénégal…). A peine 5% s’orientent 60% des ressources en cacao. Mais le marché mondial du cacao ne pèse que 6 milliards
vers l’Europe, notamment ceux présentant des difficultés de dollars, alors que celui du chocolat 100 milliards. Il est temps de passer à l’indus-
linguistiques. Cette politique donne ses fruits. Moins de trialisation. Sauf qu’elle devra être plus innovante et moins polluante. Il existe d’autres
10% des lauréats de l’école (dont 100% sont placés en em- enjeux majeurs comme la croissance de la population, l’urbanisation, le dessalement
ploi 3 mois après le diplôme) choisissent de s’expatrier. o de l’eau de mer… Ce sont là de véritables défis à relever».o
A.Na
Vendredi 3 Juin 2022