Page 8 - Dossier Enseignement-ingénierie
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                                                           EnsEignEmEnt supériEur





                                                                  Les nouveaux enjeux de la                                                                                 formation des ingénieurs







             Technicité, opérationnalité, efficacité, pragmatisme… Ces qualités          n L’hyperspécialisation technologique, c’est fini
          propres aux ingénieurs sont toujours recherchées par les employeurs,
          mais pas que. La donne du marché a changé. Les technologies évo-           «L’école d’ingé-
          luent à vitesse grand V, et quel que soit le domaine d’expertise des    nieurs n’a plus à
          ingénieurs, au bout de quelques années leurs savoirs risquent d’être    aller apprendre à un
          dépassés. De nouvelles compétences sont ainsi scrutées par les indus-   ingénieur à manipu-
          triels, surtout celles dites «soft», mais qui ne sont pas moins critiques   ler à fond une tech-
          pour autant. Les grandes écoles en ont conscience. Elles questionnent   nologie, car dans 5
          en permanence leur modèle. Certaines pratiques se sont, par ailleurs,   ans elle sera obso-
          généralisées (modules en soft skills, mobilité à l’étranger, certifica-  lète», estime Nicolas
          tions, implication des industriels, doubles diplômes…), afin de tirer   Cheimanoff, direc-
          la formation vers le haut.                                              teur de l’EMINES
                                                                                  (Université Moham-

           n Les industriels changent de perception sur les soft skills           med VI  Polytech-
                                                                                  nique). «D’ailleurs,
                                                                                  cette accélération
             Cela leur a pris du temps,                                           des évolutions tech-
          mais les industriels ont fini                                           nologiques, et même des modes d’organisation et de gestion, se traduit par
          par prendre conscience de                                               des changements de poste beaucoup plus fréquents chez les ingénieurs. Si
          l’importance des soft skills.                                           avant ils passaient 5 à 10 ans dans leur premier emploi, aujourd’hui ils
          Même s’ils restent exigeants                                            changent de poste ou d’entreprise après un ou deux ans d’activité», pour-
          sur les aptitudes techniques                                            suit-il. Pour le directeur de l’EMINES, les cours traditionnels sont toujours
          des ingénieurs, ils cherchent                                           nécessaires (énergie, mécanique, électronique…), toutefois, ils devraient
          aussi des compétences trans-                                            se concentrer sur les «points durs». L’idée est d’aider les élèves ingénieurs
          versales. Aujourd’hui,  les                                             à comprendre les difficultés des familles de technologies, et surtout, de
          écoles d’ingénieurs ont toutes                                          leur «apprendre à apprendre», puisque leur apprentissage sera désormais
          renforcé cet aspect. «Nous in-                                          tout au long de leur vie. «Personne n’est capable de dire quels seront les
          sistons beaucoup sur le travail en groupe et les mises en situation, afin de   grands enjeux technologiques des dix prochaines années, tellement tout
          permettre à nos étudiants de se révéler et de se corriger», confie Brigitte   évolue très vite. Il y a dix ans, personne ne parlait de data science, bit coin,
          Jamart, doyenne du collège ingénierie et architecture de l’UIR. Le collège   blockchain…», souligne Cheimanoff.
          organise également des conférences métiers avec les industriels, permet-   Ahmed Mouchtachi, pour sa part, parle «d’empowerment» et de dé-
          tant aux élèves ingénieurs de se projeter dans des spécialités, à prendre   veloppement de la capacité d’adaptation des élèves ingénieurs, afin de
          conscience de leur futur rôle, et aussi à s’entraîner à passer des entretiens.   leur permettre de rebondir, quelles que soient les ruptures technologiques
          Les cours sont liés au terrain et sont conçus avec les industriels.     futures.
             Dans le public, les grandes écoles sont, depuis toujours, tenues de par
          leur cahier de normes pédagogiques de travailler les soft skills de leurs étu-     n Modéliser la réalité, une compétence clé
          diants. «Nous avons des modules de management de projets, de langues,
          finance, techniques de communication… Mais la gestion diffère selon les    Pour résoudre un problème, les ingénieurs sont censés traduire la réa-
          écoles, et à la sortie, évidemment, les étudiants ne se ressemblent pas»,  lité en modèle, souvent mathématique, pour ensuite déployer des outils
          témoigne Ahmed Mouchtachi, directeur de l’ENSAM Casablanca. Malgré  d’optimisation ou de simulation permettant de décliner des solutions.
          cela, les résultats ne sont pas toujours probants, car les étudiants cumulent  Cependant, les écoles se concentrent souvent sur cette deuxième partie liée
          des lacunes dans le domaine depuis le primaire. Les écoles tentent, néan- à la solution au détriment de la première, selon Nicola Cheimanoff. «La
          moins, d’accompagner plus leurs étudiants sur cet aspect. L’ENSAM  nature n’est pas en équation, et l’ingénieur devra être capable de traduire
          Casablanca, par exemple, a lancé en février dernier une Académie de soft  cette réalité en modèle. Cela suppose beaucoup de pratique, de terrain,
          skills, qui délivre des certificats exigés par les enseignants. A la clé, des  ainsi que de l’écoute, de l’humilité…», insiste le directeur de l’EMINES.
          bonus sur les notes.                                                    Les écoles commencent à en prendre conscience.


                                              n Entrepreneuriat: Aller au-delà de la simple sensibilisation

             En général, les écoles se contentent de sensibi-                                           par le prototypage de produits. Plusieurs parte-
          liser leurs étudiants à l’entrepreneuriat. Certaines                                          naires socioéconomiques sont associés à ce projet
          tentent désormais d’aller au-delà. L’ENSAM Ca-                                                qui devrait démarrer en novembre 2022. L’école
          sablanca, par exemple, vient de mettre au point un                                            ambitionne de produire des entrepreneurs, auto-
          nouveau concept pour inculquer l’action entrepre-                                             entrepreneurs et intrapreneurs, avec à la clé une
          neuriale technologique. Il s’agit d’un programme sur                                          attestation «profil entrepreneur».
          36 mois, qui démarre dès la première année du cycle                                              L’EMINES, pour sa part, insiste sur le mind-
          ingénieur, baptisé «ingénieur d’aujourd’hui entrepre-                                         set entrepreneur. «Auparavant, les entreprises s’en
          neur de demain». Du semestre 5 au semestre 10, les                                            occupaient. Aujourd’hui, elles désirent des profils
          étudiants auront droit à un accompagnement fourni                                             entrepreneuriaux dans leur tête tout de suite, avec
          par un comité de suivi permanent (enseignants, pro-                                           une mentalité de prise de risque, et c’est une vraie
          fessionnels, entrepreneurs, clubs des élèves ingé-                                            difficulté sur le continent», livre son directeur,
          nieurs…). Ils seront assistés de l’identification de                                          Nicolas Cheimanoff, qui relève une autre qualité
          l’idée à la création juridique de startups, en passant                                        souvent absente: savoir accepter la contradiction.

                                                                        Vendredi 3 Juin 2022
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