Les «opportunités» de la crise Covid, analysées par Hamid Chabar
Les réflexions autour des enseignements de la crise Covid19 fusent. La dernière en date est signée par Hamid Chabar, ambassadeur du Maroc en Mauritanie. Pour le diplomate, «Nul ne conteste, aujourd’hui, que nous vivons une crise inédite dans l’histoire de l’humanité. Impuissant, le monde assiste, presque résigné, à son propre dérèglement». Un spectacle quasi-apocalyptique semble, désormais, se généraliser sous les yeux médusés des citoyens désarmés que nous sommes tous devenus : Arrêt sans précédent de l’activité économique, avions cloués au sol, aéroports hors service, trains immobilisés, trafic maritime revu à la baisse ; usines, commerces, lieux de cultes et écoles fermées ; loisirs suspendus ; des dizaines de millions d’actifs mis au chômage forcé ;…«En un mot, une crise, inimaginable, il y a peu, s’installe, prend de l’ampleur et plonge l’humanité dans un chaos, dont personne ne se hasarde, encore, à en prévoir, avec certitude, l’issue », souligne l'ambassadeur de Rabat à Nouakchott, notant que le Coronavirus restera dans les annales des pandémies, qui ont endeuillées l’histoire de l’humanité, comme étant, indiscutablement, le plus dévastateur, au regard de l’ampleur du chaos qu’il a installé. En effet, la singularité de la pandémie actuelle, découle essentiellement du confinement massif auquel elle a donné lieu et dont les conséquences sont encore incalculables tant sur les plans humain, social et politique que sur le plan économique. Décryptage.
Impact économique : Récession et horizons incertains
Les mesures de confinement et de fermeture des frontières ont engendré une paralysie du trafic aérien et, dans une moindre mesure, celle du trafic maritime. S’en est suivi, par un effet d’entrainement, un arrêt sans précédent de l’activité économique et une baisse substantielle des échanges commerciaux. Tout ceci a impacté négativement l’appareil productif des biens et services, qui est pratiquement à l’arrêt. A leur tour, les prix du pétrole ont chuté à un niveau jamais atteint auparavant. Une récession, sans précédent, s’annonce en raison aussi bien d’une baisse de la demande que d’une contraction de l’offre. Elle pourrait enregistrer des taux négatifs, jamais atteints, du moins depuis la première guerre mondiale, explique Chabar. Ainsi, selon le FMI, le «Grand confinement », aura de graves conséquences, qui n’épargneront aucun Continent et provoqueront une récession « historique » sans précédent. L’économie mondiale connaitra, dans une hypothèse optimiste, tablant sur une diminution de la pandémie au cours du second semestre 2020, une contraction du PIB mondial du 3% en 2020, contraction moins marquée que celle des États-Unis (-5,9 %) et de la zone euro (-7,5 %). Seule la Chine pourrait garder, toujours selon le FMI, une croissance positive de 1.2 %. De même, les programmes de soutien à l’économie (banques et entreprises) et les aides directes aux populations, ayant perdues leurs sources de revenus, entraineront, inévitablement, une envolée de l’endettement public, qui atteindra des niveaux inégalés. Dans les pays en développement, dépendant de l’exportation des matières premières, le coup d’arrêt de l’économie mondiale aura, sans conteste, des effets dévastateurs sur les équilibres socio-économiques déjà fragiles de ces pays et, partant, sur leur sécurité et leur stabilité politique. «Il va de soi que plus le confinement perdure, plus le coût social devient exorbitant». Une telle situation ne manquera pas de placer les pouvoirs publics, dans la plupart des pays, devant un dilemme cornélien : Déconfiner pour sauver l’économie et soulager le coût social résultant de la gestion de cette pandémie ou continuer à faire observer le confinement pour sauver les vies humaines. Dans son analyse, le diplomate souligne que «les Etats sont confrontés, de ce fait, à une situation inédite ; quand bien même le souhaitent-ils, ils ne pourraient être en mesure de continuer à supporter le coût et les dégâts sociaux de l’arrêt, même partiel, de l’activité économique».C’est pourquoi la perspective de « déconfinement », est scrutée avec soulagement mais aussi avec anxiété et angoisse. La reprise de l’activité économique sera longue, douloureuse et couteuse et ne permettra certainement pas de renouer avec la croissance, du moins à court terme. Seul l’environnement semble avoir bénéficié de l’arrêt de l’activité économique ainsi que du confinement de la moitié de la population mondiale. En effet, cette pandémie s’est accompagnée par une prise de conscience globale de la fragilité de l’existence de l’être humain. Elle poussera, inévitablement, les sensés, parmi nous, à une réflexion sur la capacité de l’Homme à se concentrer sur l’essentiel et à procéder à un examen de conscience, sur fond d’une reconsidération des priorités, y compris la finalité de l’activité humaine.
Réhabilitation de l’Etat et quête de résilience nationale
« Personne ne conteste le fait que cette crise a réconcilié l’Etat avec ses citoyens. Il a été constaté, un peu partout, une tendance à la consolidation du consensus national », estime Chabar. Et de poursuive: «Les forces de l’opposition et la société civile ont été amenées, devant l’élan général de mobilisation et de solidarité, à se ranger derrière leurs gouvernements pour pouvoir surmonter la crise. L’instinct de survie, le sentiment d’insécurité, la peur et le besoin de protection, semblent avoir bousculé l’ordre des priorités. L’exigence d’efficacité et de performance, désormais clamée par les citoyens, semble se substituer à une autre exigence, celle de la légitimité démocratique, reléguée au second plan». L’on assiste, par conséquent, à une véritable réhabilitation de l’Etat national, en ce sens que ce dernier s’est trouvé seul et ne pouvait compter que sur ses propres ressources pour faire face à la pandémie. Cette dernière a, en effet, provoqué une forte « demande de l’intervention de l’Etat », que ce soit pour les soins de santé et la prise en charge des malades, l’organisation de l’approvisionnement du marché en produits de première nécessité ou encore pour la stricte observation du confinement des population et l’assistance aux plus démunis. Cette réhabilitation de l’Etat pourrait, d’ores et déjà, se prévaloir d’une forte tendance, au sein de l’opinion, appelant à l’isolationnisme, au repli sur soi, au retour à l’économie autarcique et à la souveraineté économique. En un mot, la reconquête de « l’autonomie stratégique » semble devenir un impératif autour duquel se dégage un consensus national, partout dans le monde. L’on assiste, également, à un retour des valeurs de solidarité au détriment de l’individualisme célébré par la philosophie néolibérale. Comme signalé ci-dessus, ce retour en force de l’Etat, quand bien même réducteur voire privatif, dans certains cas, des libertés individuelles et collectives, se trouve, paradoxalement, soutenu par les populations en quête de survie et de protection. Au niveau des politiques publiques, il y a lieu de noter qu’on assiste à un sursaut civique appelant les Politiques à mettre l’accent sur les questions ayant trait à la santé publique, à l’enseignement et la recherche scientifique, à la valorisation des spécificités nationales, au renforcement de la résilience nationale et à une meilleure répartition des richesses en faveur des classes sociales défavorisées. «Un questionnement radical de certains choix se posera, sans doute, et avec acuité, dès la fin de la crise. Cette situation impliquera, immanquablement, une reconsidération des priorités des politiques publiques et, partant, des modèles de développement ayant prévalu depuis la fin de la deuxième guerre», indique Chabar.
Vulnérabilité individuelle et collective
Sur le plan social, et bien que le confinement ait montré son efficacité à limiter la propagation du virus, il n’en demeure pas moins que sa généralisation et sa persistance constituent un brutal rappel à l’ordre, quant à la fragilité de nos libertés individuelles et collectives et à la viabilité de notre mode de vie. En outre, sur le plan strictement psychologique et humain, le confinement offre, distanciation sociale oblige, l’opportunité d’une introspection sur soi. L’être humain est, subitement, mis devant l’épreuve d’une prise de conscience de sa vulnérabilité en tant qu’individu et en tant que membre d’un groupe ou d’une communauté. Il est amené, de ce fait, à reconsidérer la nature de ses priorités et de ses relations avec son environnement. Le confinement, impliquant une autre forme de socialisation, testera, immanquablement, la disposition de l’Homme à se délester de son égoïsme et de son individualisme pour pouvoir œuvrer à l’avènement d’une société reconfigurée autour de valeurs que pourraient être ; la solidarité, le partage, la tolérance et l’humilité. «Cette situation singulière laissera, inévitablement, des séquelles. Le confinement massif s’est révélé être difficile à observer, au regard des effets délétères qu’il ne cessera d’engendrer tant qu’il perdure (violences dans les ménages, violence faite aux femmes et aux enfants, difficultés à coexister dans le même espace). La promiscuité, la perte de revenus, l’arrêt de scolarité des enfants, le chômage et l’absence de loisirs demeurent les ingrédients d’une détresse psychosociale, dont on n’a pas, encore, mesuré toute l’étendue et toutes les conséquences », note Chabar. Sur un autre plan, la persistance du confinement va se traduire, immanquablement, par la mobilisation de moyens budgétaires conséquents, destinés à subvenir aux besoins des catégories sociales en situation de précarité. Une telle situation n’est pas sans mettre les Etats en difficulté, en raison de leur incapacité structurelle à pouvoir continuer à secourir ces catégories de population. La raison en est que la paralysie de l’activité économique affecte directement les ressources de l’Etat, notamment en termes de recettes fiscales. Le mécontentement résultant d’une telle situation de tarissement de filets sociaux pourrait, dans certains cas, générer de tensions sociales et politique et, par conséquent, installer un climat d’insécurité et d’instabilité.
Enseignements et perspectives
L’initiative récente prise par SM le Roi, à l’endroit de certains pays africains frères, portant partage de bonnes pratiques en matière de gestion de cette pandémie, traduit non seulement la qualité de la riposte marocaine à cette crise sanitaire saluée du reste, par tous, mais, surtout, la capacité du pays à jouer un rôle leader et à réussir son repositionnement dans le monde de l’après crise". Le Maroc semble, donc, être qualifié à se repositionner lors de la transition qui s’annonce, d’autant plus que, toujours sous l’impulsion de SM le Roi, un nouveau modèle de développement est en cours d’élaboration. C’est l’occasion idoine pour y intégrer les enseignements tirés de cette crise. La mise en œuvre de ce nouveau modèle de développement nécessiterait, sans doute, la reconsidération de certaines priorités. Les investissements publics et privés gagnerait, au regard aussi bien de la teneur de la feuille de route fixée par Sa Majesté le Roi au nouveau modèle de développement, que des conséquences de cette crise inédite, à être focalisés et orientés en direction des secteurs d’activités que sont : l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire, la santé, l’éducation et la recherche scientifique, les énergies renouvelables, la mobilisation des ressources en eau, la culture, le digital, le tourisme et les loisirs, sans oublier les secteurs sociaux. Ces secteurs, pris sérieusement en charge, pourraient constituer à la fois l’essentiel du PIB du pays et, partant, les principaux atouts du nouveau positionnement du Maroc sur la chaine de valeurs à échelle internationale. «Il résulte de ces considérations que l’appel lancé par Sa Majesté pour reconsidérer le modèle de développement, à l’effet d’intégrer les besoins croissants des citoyens et de réduire les disparités socio-spatiales, est plus que jamais d’actualité. Par cet appel, Sa Majesté a, en effet, anticipé cette crise inédite qui secoue le monde d’aujourd’hui», conclut le diplomate.
Les atouts du Maroc pour tirer avantage de cette transition
Les conséquences de cette crise inédite devraient interpeller plus que jamais les pays du Sud, qui continuent à se débattre dans des problèmes structurels de sous-développement et qui peinent à s’en sortir. Pour ces pays, et notamment ceux dits émergents, l’après Covid-19 pourrait constituer une réelle opportunité pour, d’une part, revoir leurs modèles de développement et à en reconsidérer la viabilité et, d’autre part, pour se repositionner, à travers de nouvelles niches, tant au niveau régional que mondial, indique l'ambassadeur du Maroc en Mauritanie. Parmi ces pays émergents, et de l’avis de nombreux observateurs, le Maroc dispose de tous les atouts pour pouvoir tirer avantage de cette transition, que d’aucuns considèrent comme inéluctable. «De cette transition résultera, certainement, une nouvelle division du travail à échelle de la planète, étant donné que le caractère interdépendant des économies ne peut pas être totalement remis en cause après la crise », affirme Chabar. En effet, sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, argue-t-il, «le Royaume, qui s’est développé dix fois plus vite en dix fois moins de temps, au cours de ces deux dernières décennies, dispose de réels avantages comparatifs pour pouvoir assurer cette transition». Parmi ces avantages le diplomate citera neuf des plus importants. D'abord, une économie diversifiée, portée par des stratégies sectorielles et articulées autour de secteurs productifs de biens et de services, qui a réduit drastiquement la dépendance du pays envers l’exportation d’une ou deux matières premières, comme c’est le cas pour d’autres pays. Ces secteurs, à fort potentiel exportateur, ont consolidé la place du Maroc dans le circuit du commerce international. Le Maroc dispose aussi d'un tissu industriel jeune et performant, notamment dans des secteurs, tels que l’automobile, l’aéronautique, les industries chimiques et pharmaceutiques ou le textile. Ce tissu industriel a fait preuve d’une capacité de réadaptation et de synergie, comme ce fut le cas en matière de production de masques et d’aspirateurs, ce qui a permis au Maroc de devenir, en un temps record, l’un des principaux producteurs d’équipements sanitaires liés à cette pandémie. Un secteur agricole moderne et exportateur s’appuyant sur une industrie agro-alimentaire à très forte valeur ajoutée. Un secteur minier valorisé et un tourisme en nette progression. Un secteur bancaire, qui s’est professionnalisé et internationalisé et qui est, aujourd’hui, considéré comme le meilleur en Afrique. Les banques marocaines constituent, également, un réel atout d’accompagnement pour les investisseurs marocains à l’étranger, notamment en Afrique, ainsi que pour les investissements directs étrangers, au Maroc. Une stabilité politique portée par des institutions fortes et garantie par une monarchie démocratique et
Y.S.A