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Vers la couverture sanitaire universelle en Afrique subsaharienne

Par Marwân-Al-Qays BOUSMAH - Bruno VENTELOU - - | Edition N°:7011 Le 15/05/2025
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Marwân-al-Qays Bousmah est chargé de recherche à l’Ined dans l’unité Mortalité, santé, épidémiologie. Il mène un travail de recherche à l’intersection de l’économie de la santé et de la santé publique, à partir de terrains aux Suds ainsi qu’en Europe auprès de populations originaires des Suds, et avec un fil directeur: la lutte contre les inégalités sociales de santé

Bruno Ventelou est directeur de recherche à l’École d’économie d’Aix-Marseille (CNRS-AMSE); il a contribué à une cinquantaine d’articles scientifiques en santé publique, plus spécifiquement dans les domaines de la macroéconomie des dépenses de santé, de la relation santé - développement, et de l’économie des professions médicales et des services de santé

Au cours des deux dernières décennies, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ont cherché à étendre la couverture sanitaire aux personnes éloignées des systèmes de santé (dont celles du secteur informel et du monde rural), principalement par la mise en place de systèmes d’assurance santé et de programmes de gratuité des soins pour certaines catégories de la population.

Cependant, les politiques mises en place dans de nombreux pays n’ont pas atteint leurs objectifs. Les taux de couverture de la population restent bas et le non-recours aux soins n’a diminué que modérément (à l’exception des programmes spécifiques comme ceux qui garantissent la gratuité des accouchements en centre de santé). Les améliorations en matière d’équité restent faibles, que ce soit en termes d’accès aux soins ou de protection financière des ménages.

L’assurance maladie au cœur de la couverture sanitaire universelle

Parce qu’elle permet de lutter contre les inégalités sociales de santé, la couverture sanitaire universelle est un enjeu majeur pour les pays du Sud, d’un point de vue de santé publique – en garantissant un accès aux soins au plus grand nombre – mais aussi sociétal – en œuvrant pour un développement équitable et durable aux Suds. La couverture sanitaire universelle repose sur deux dimensions fondamentales: la possibilité pour chacun de bénéficier de soins de santé adaptés à ses besoins (la «couverture des services de santé») et le fait que le recours aux services de santé, quand il a lieu, n’entraîne pas de difficultés financières (la «protection financière»).

Les mutuelles de santé communautaires: l’exemple du Sénégal

Partie intégrante des Objectifs de développement durable (2015-2030), elle correspond ainsi à un objectif en soi (cible 3.8 de l’ODD 3 «bonne santé et bien-être»). Elle représente également un moyen d’atteindre d’autres objectifs (notamment les ODD 1 «éliminer la pauvreté» et «ODD 10 réduire les inégalités»).

De nombreux pays à revenu faible et intermédiaire ont opté pour le modèle des mutuelles de santé communautaires dans le but d’atteindre la couverture sanitaire universelle. Ainsi, le Sénégal a mis en place en 2013 une politique visant à instaurer une mutuelle de santé dans chaque communauté rurale du pays. Ce régime d’assurance maladie s’appuie sur une communautarisation du financement de la santé, avec une adhésion dite «volontaire», un tarif unique de cotisation et une structuration organisationnelle à l’échelle dite communautaire, avec une mutualisation des risques au niveau communal.

L’adhésion peut aussi être entièrement subventionnée par l’État pour les ménages les plus pauvres, bien que ce programme ciblé reste très imparfaitement implémenté sur le terrain. Les adhérents bénéficient ensuite d’une prise en charge des soins et des prescriptions allant de 50 à 100% selon le type de soins. Si les objectifs d’amélioration du recours aux soins pour les membres des mutuelles de santé ont été partiellement remplis (voir notre étude publiée sur le sujet), les taux d’adhésion à l’assurance maladie sont restés faibles.

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Poste de santé de Toucar au Sénégal, l’un des villages de la zone d’étude du projet UNISSahel. Marwân-al-Qays Bousmah, Author provided

Seuls 7% des ménages de notre zone d’étude (celle de Niakhar, dans la région de Fatick) avaient au moins un membre couvert par un régime d’assurance maladie volontaire. La proportion de ménage vivant sous le seuil de pauvreté était quant à elle très élevée (49%), tout comme l’incidence des dépenses de santé catastrophiques: 6% des ménages dépensaient pour leurs soins plus de 40% de leur capacité à payer. Dans une étude sur les déterminants de l’adhésion aux mutuelles, nous avons tenté de mieux comprendre les mécanismes favorisant ou entravant l’adhésion aux mutuelles. Nous nous sommes attachés à bien distinguer, d’une part, les facteurs (notamment géographiques) qui influençaient l’accès à l’information concernant le système d’assurance santé et ceux, d’autre part, qui influençaient les choix d’adhésion aux mutuelles. Nous testons formellement l’hypothèse que l’accès à l’information conditionne l’adhésion effective à une mutuelle. Ainsi, notre étude corrige les analyses «habituelles» des déterminants de l’adhésion qui, (trop) souvent, présupposent que les personnes ont une bonne connaissance du système d’assurance santé auquel elles pourraient avoir accès.

L’éloignement géographique, un frein important

Nos résultats montrent que l’éloignement géographique exerce une double contrainte sur l’adhésion aux mutuelles. Tout d’abord, la distance entre le lieu de vie et le bureau d’accueil de la mutuelle la plus proche altère la bonne connaissance du système d’assurance santé proposé (la connaissance de ses caractéristiques principales comme le panier de soins couverts). Ensuite, la distance supplémentaire à parcourir pour recourir aux soins couverts par la mutuelle dissuade les personnes d’adhérer aux mutuelles.

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Cette barrière par la distance est soutenue par deux mécanismes: un système de «lettre de garantie» qui entrave la fluidité de l’accès à la prise en charge financière (les adhérents doivent d’abord récupérer une lettre auprès de leur mutuelle avant d’aller se faire soigner dans un centre de santé), et un système d’affiliation excessivement sélectif de certains centres de santé à la mutuelle (les centres affiliés ne sont souvent pas les centres les plus proches ou ceux habituellement fréquentés par les personnes).

Pour mieux comprendre les problèmes de soutenabilité du régime d’assurance maladie volontaire au Sénégal, nous nous sommes ensuite intéressés à la relation à double sens entre la disposition à payer (c’est-à-dire la prime maximale qu’une personne est prête à payer pour être bénéficiaire d’une mutuelle) et la décision d’adhérer à une mutuelle dans ce contexte d’information limitée. Notre étude met en lumière une situation paradoxale caractérisée à la fois par de faibles taux d’adhésion, mais aussi une forte disposition à payer parmi les adhérents, bien plus forte que la prime actuelle de 3.500 francs CFA par personne et par an (ce qui correspond à 5,3 €, soit un peu plus de 5% du salaire mensuel minimum interprofessionnel garanti – Smig). De plus, après avoir pris en compte les déterminants de l’adhésion, nous montrons que le fait d’expérimenter le recours à cette assurance maladie locale renforce la «disposition à payer» (c’est-à-dire, la somme que les individus seraient prêts à payer pour bénéficier d’une assurance santé).

Ainsi, il semble y avoir une importante valeur attribuée à l’assurance maladie et cette valeur semble se confirmer, voire s’intensifier, avec son adoption. Finalement, le surplus du consommateur est largement positif: il y a une large différence entre la prime maximale qu’une personne est prête à payer pour adhérer et la prime actuellement proposée. Les problèmes de soutenabilité du système des mutuelles de santé ne semblent donc pas être dus à une éventuelle mauvaise expérience des adhérents (par exemple des taux de remboursement jugés insuffisants ou un manque de confiance dans la gestion de leur mutuelle).

Notre analyse est cependant limitée par l’utilisation de données collectées à un moment donné dans le temps (en «coupe transversale»). Une meilleure prise en compte de la dynamique des décisions en matière d’assurance santé sera possible quand des données longitudinales seront disponibles.

Quelles pistes pour améliorer la couverture sanitaire des populations?

Cette présence d’effets directs et indirects montre qu’il y a plusieurs leviers pour étendre la couverture santé en milieu rural sénégalais. À l’heure où d’importants changements s’opèrent au niveau de l’offre d’assurance santé dans la sous-région (professionnalisation des mutuelles, organisation à une plus grande échelle par rapport au modèle communautaire villageois), nos résultats pris dans leur ensemble suggèrent que les politiques également axées sur la demande devraient aussi lever de nombreux freins à l’adhésion aux mutuelles de santé, notamment:

- en améliorant l’accès à l’information sur le système d’assurance santé, en particulier dans les zones les plus éloignées des mutuelles

- en densifiant le maillage territorial des bureaux d’accueil du public des mutuelles

- en assouplissant le système de «lettre de garantie» qui impose aux malades une distance supplémentaire à parcourir afin de pouvoir bénéficier de la prise en charge des soins de santé par la mutuelle

- en élargissant le nombre de structures sanitaires affiliées aux mutuelles afin de faire face aux contraintes territoriales des adhérents.

Atteindre la couverture sanitaire universelle reste donc une priorité au Sénégal et ailleurs dans la région, afin de garantir une meilleure équité dans l’accès aux soins et la protection financière des ménages.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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