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La sinueuse histoire des remèdes aux morsures de serpent

Par Peter HOBBINS | Edition N°:6573 Le 08/08/2023 | Partager

Peter Hobbins est responsable des connaissances au musée national australien maritime et affilié honoraire à l'Université de Sydney

En Australie comme dans d’autres endroits où vivent ces reptiles, l’été est traditionnellement la saison des morsures de serpents, car à cette époque, leur activité s’accroît, tout comme celle des êtres humains. Fort heureusement, le nombre de décès résultant d’une rencontre avec ces animaux est aujourd’hui remarquablement bas. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

Bien que les statistiques de la période coloniale soient très peu fiables, il semblerait qu’en Australie, entre 1882 à 1892, on enregistrait chaque année aux alentours de 11 décès suite à des morsures de serpents. Depuis lors, la population du continent est passée de 2,2 millions à 24,3 millions. Pourtant, chaque année entre 2001 et 2013, en moyenne, deux victimes seulement sont décédées suite à une rencontre avec un serpent. Si les améliorations des transports, des communications et des services d’ambulance ont contribué à cette diminution du nombre de morts, les progrès en matière de premiers secours et de moyens médicaux disponibles pour contrer les venins de serpent ont également joué un rôle.

À l’époque coloniale, des remèdes complexes

La prise en charge de John Brown suite à une envenimation (injection de venin), durant l’année 1868, illustre bien la complexité des remèdes de l’époque coloniale, ainsi que l’énergie du désespoir qui animait ceux qui les mettaient en œuvre. Chef de gare de son état, John Brown officiait à la gare d’Elsternwick lorsque des travailleurs des chemins de fer victoriens lui ont lancé le cadavre d’un serpent brun qu’ils venaient de tuer. Soit le serpent n’était pas tout à fait mort, soit Brown a effleuré ses crochets lorsqu’il a frappé le corps du reptile « dans un geste d’énervement ». Toujours est-il que le chef de gare a rapidement montré des symptômes d’envenimation : vomissements, faiblesse physique, puis paralysie suivie de coma. Sa mort semblait inévitable.

Le chef de gare fut transporté précipitamment à Balaclava (dans la banlieue de Melbourne). Là, le chirurgien George Arnold lui posa un garrot sur le bras avant de découper le site de la morsure, espérant ainsi éliminer le venin. Il versa ensuite de l’ammoniac (un produit chimique dangereux, utilisé aujourd’hui pour le nettoyage) sur la plaie afin de neutraliser tout venin restant, puis encouragea Brown à boire 175 ml de cognac pour stimuler sa circulation sanguine. Le médecin agita aussi des sels sous son nez, puis appliqua en cataplasme une sorte de pommade pâteuse à base de moutarde, sur ses mains, ses pieds et son abdomen, afin de soulager la congestion interne. Des chocs électriques furent aussi administrés au malheureux chef de gare pour le stimuler, tandis que, chancelant et semi-conscient, il était promené de long en large afin qu’il reste éveillé et en vie. Malgré tous ces efforts, son état continua de se détériorer.

Arnold fit alors venir en urgence le seul professeur de médecine de la colonie, George Halford, de l’Université de Melbourne. Celui-ci accepta à contrecœur d’utiliser sur Brown son nouveau remède contre les morsures de serpent. Il ouvrit une veine du bras du chef de gare et lui injecta de l’ammoniac directement dans le sang. Ce dernier reprit rapidement connaissance, ce qui amena un autre médecin à affirmer que «l’injection d’ammoniac avait sauvé la vie de l’homme » (un conseil : ne tentez pas cela chez vous).

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Nommez votre poison

Si bon nombre des interventions de 1868 nous semblent aujourd’hui étranges, voire dangereuses, prises dans leur contexte historique, elles avaient néanmoins un sens. Le traitement administré à John Brown suivait en effet un schéma bien connu, appliqué en Australie des années 1800 aux années 1960. Il faut savoir que jusqu’au milieu du XXe siècle, les traitements mis en œuvre pour lutter contre les morsures de serpent alternaient entre trois approches fondamentales. La plupart des colons européens, ainsi que les membres de nombreuses cultures autochtones, considéraient le venin comme un «poison» externe se déplaçant à travers le corps. C’est ce qui explique que des mesures «physiques» telles que le garrot ou la succion étaient courantes: elles visaient à expulser le venin ou limiter sa circulation.

Une deuxième catégorie de remèdes, allant des cataplasmes de moutarde aux injections d’ammoniac, cherchait à s’opposer aux effets néfastes du venin dans le corps, à le contrer, souvent en stimulant la fonction cardiaque et la circulation sanguine. Enfin, la troisième approche consistait à neutraliser directement le venin lui-même, par exemple en versant de l’ammoniac sur la morsure. Jusqu’aux années 1850, les mesures physiques ont dominé. Puis, durant les 50 années suivantes, ce fut l’apogée des traitements d’opposition. Lorsque l’ammoniac intraveineux de Halford tomba en disgrâce (car il semblait ne pas fonctionner), il fut remplacé, dans les années 1890, par des injections d’un autre poison notoire : la strychnine. Initialement plus populaire que l’ammoniac, ce poison végétal hautement toxique a fini par être accusé d’avoir tué plus de patients qu’il n’en aurait sauvés.

En conséquence, ce n’est qu’en 1930 que l’antivenin contre le serpent tigre a été commercialisé sur le marché australien. D’autres injections ont ensuite suivi, ciblant un plus large éventail d’espèces de serpents. Mais l’antivenin «polyvalent», efficace contre plusieurs sortes de venins, n’a émergé qu’à partir du milieu des années 1950. Dans le même temps, d’autres mesures de premiers secours étaient encore administrées, tels que la pose de garrots ou l’application sur la morsure de cristaux de Condy dans l’espoir d’inactiver le venin (du permanganate de potassium, utilisé pour nettoyer les plaies).

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