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Université: Les méthodes japonaises

Par Nami Sugiura | Edition N°:6041 Le 28/06/2021 | Partager

Au Japon, les inégalités hommes-femmes dans le monde universitaire sont importantes. Mais certaines des meilleures universités du pays prennent des mesures énergiques pour y pallier et attirer davantage de chercheuses.

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A la faculté des sciences et technologies de l’Université de Gunma, les étudiants sont encouragés à faire des études supérieures (Ph. Gunma University)

Considérée comme l’une des meilleures universités du Japon, l’université de Nagoya est depuis des années à la pointe du monde académique en aidant les chercheuses à ne pas renoncer à leur carrière à cause de leurs grossesses, de leurs responsabilités parentales et d’autres «obstacles» liés au genre. Aujourd’hui, l’université franchit une nouvelle étape dans son engagement à long terme, en introduisant des objectifs de recrutement et en améliorant les services de garde d’enfants pour réduire encore plus les inégalités.

Dans le pays, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à travailler dans le milieu universitaire et sont encore moins à occuper des postes à responsabilité. L’une des raisons qui expliquent ce phénomène est le fait que les jeunes chercheuses sont souvent embauchées pour des contrats à durée déterminée, ce qui leur laisse moins de temps pour produire les mêmes résultats que leurs homologues masculins afin d’obtenir le renouvellement de leur contrat ou un poste au sein de l’équipe.

L’université est située à Nagoya, la quatrième plus grande ville du Japon. En 2009, elle a été le premier établissement d’enseignement supérieur du pays à mettre en place un accueil périscolaire au sein de son campus, après que des universitaires ayant des enfants en âge de fréquenter l’école primaire se soient plaintes de la «barrière du CP». Les parents peuvent envoyer les enfants plus jeunes dans des crèches, mais les garderies d’élèves de primaire ont des horaires d’ouverture plus courts, ce qui complique l’organisation de l’emploi du temps des parents qui travaillent. Soixante-dix-sept élèves de l’école primaire de tout âge sont actuellement inscrits à la garderie du campus, qui fonctionne jusqu’à 21 heures.

«Détruire les barrières invisibles»

Ces dernières années, les femmes représentaient environ 17,5% des enseignants de l’université de Nagoya, qui s’est fixé pour objectif d’augmenter ce taux à 20% durant l’année 2021. Elle a également imposé des objectifs en matière de recrutement pour chaque cours et département académique, ainsi que des primes à l’emploi. Les départements dont le taux d’embauche des femmes est supérieur à celui des départs peuvent recevoir des budgets plus importants de la part du gestionnaire scolaire, tandis que ceux qui n’atteignent pas les objectifs fixés par l’université voient leurs budgets réduits.

NarieSasaki, une professeure associée de biologie à l’université de Nagoya ayant participé à la création du centre d’accueil périscolaire pour permettre aux femmes de continuer à travailler, souligne l’importance de ces objectifs d’embauche. «Attribuer des postes exclusivement aux femmes ne leur donne pas un avantage injustifié, mais vise à détruire les barrières invisibles», a-t-elle déclaré.

HirokoTsukamura, vice-présidente de l’université de Nagoya, explique que la politique consistant à réduire les budgets des départements n’atteignant pas les objectifs a été décidée après que les mesures d’encouragement à l’emploi des femmes, moins strictes, aient échoué à améliorer le ratio féminin. “Certains s’y opposaient, mais nous avons eu de multiples discussions avec chaque département et avons approuvé cette politique durant une réunion avec tous les administrateurs du campus», a-t-elle indiqué. «Les universitaires de talent devraient être sélectionnés indépendamment de leur genre. Si les bonnes personnes étaient choisies pour ces postes, il devrait y avoir plus de femmes dans la communauté des chercheurs».

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L’université de Nagoya a été fondée en 1939. En 2014, l’université a produit six lauréats du prix Nobel. En 2009, elle a été le premier établissement d’enseignement supérieur du pays à mettre en place un accueil périscolaire au sein de son campus (Ph. Nagoya University)

L’université de Gunma, dans la région de Kanto au nord du Japon, prend également des mesures drastiques pour réduire l’écart entre les genres. Au lieu d’allouer ponctuellement des fonds aux projets d’égalité des droits, l’établissement établit des budgets à long terme pour aider les chercheuses à installer leurs propres laboratoires, mais aussi pour embaucher des assistants à temps partiel pour les parents de jeunes enfants. Elle s’est également efforcée de n’engager que des chercheuses pour les postes récemment ouverts dans sa faculté des sciences et technologies, jusqu’ici dominée par des hommes.

Résultat, le nombre de professeures permanentes est passé de quatre en 2012 à douze en 2019. Le pourcentage de doctorantes a quant à lui plus que doublé durant la même période, passant de 12 à 26%.

Teruo Fujii, qui est devenu président de l’université en avril dernier, a mis l’accent sur la «diversité et l’inclusion». Plus de la moitié des nouveaux cadres de l’université sont des femmes, venant de divers horizons, dont une entreprise privée et une organisation internationale. Cette année, 21,1% des nouveaux étudiants sont des femmes, un taux record pour l’université. «Le fait que des femmes rejoignent la direction de l’établissement revêt une importance symbolique», a déclaré Kaori Hayashi, vice-présidente de l’université.

«Nous ferons de l’université une école que des personnes occupant des postes variés voudront fréquenter». Le ratio de professeures dans l’université (professeures associées et assistantes comprises) ne dépasse toutefois pas 13,7%, alors qu’environ 90% de ses professeurs sont des hommes.

Selon Mme Hayashi, les hommes et les femmes concourent sur la base de leurs réussites dans le milieu universitaire et ils n’espèrent pas que la sélection se fasse «simplement parce que ce sont des femmes». Mais elle souligne l’importance d’aider les femmes à l’embauche. «L’écart entre les genres [à l’Université de Tokyo] d’une femme pour neuf hommes est trop important pour être ignoré, et il est possible que des talents cachés n’aient pas encore été découverts», explique-t-elle. «Il y aura davantage de cas où la personne la plus talentueuse à être embauchée se trouve être une femme.»

                                                                  

Des règles assouplies pour le congé parental

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Des enfants répondent à un quiz à l’aide d’un bouton-poussoir au centre d’accueil périscolaire Poppins de l’université de Nagoya (Centre d’accueil périscolaire Poppins)

Le congé maternité est un autre défi auquel sont confrontées les chercheuses. Alors que les jeunes chercheurs doivent fréquemment renouveler leur contrat pour obtenir un poste universitaire, de nombreuses universités ont conclu des accords avec les syndicats ou adopté des règles en interne qui interdisent au personnel de prendre un congé parental au cours de la première année et de la dernière année et demie de leur contrat. Il est donc impossible pour les personnes ayant un CDD de deux ans de prendre un congé parental, tandis que les membres du personnel embauchés pour trois ans ne peuvent prendre que six mois de congé pour s'occuper de leur enfant. Ces règles ont poussé certains universitaires à s’interroger sur leur désir d’enfant.

Bien que ces mesures soient fondées sur les directives du ministère japonais du Travail relatives à l'emploi à durée déterminée, elles peuvent être ajustées si employés et employeurs trouvent un accord. L'Institut des sciences et des technologies de Nara (NAIST) les a par exemple abolies l'année dernière, permettant à ses employés de prendre un congé parental quand ils le souhaitent durant leur contrat. L’établissement n’a mis que six mois pour revoir ses règles après que la question ait été soulevée par de jeunes étudiantes. Depuis, tous les enseignants temporaires ont droit à un congé parental d'un an.

L'Université de Tokyo a supprimé les restrictions relatives au congé parental pour les membres du personnel permanent et temporaire en 2005. L'université gère également six crèches qui acceptent de nouveaux enfants chaque mois. Elle couvre 70% des frais de crèche pendant cinq ans pour les professeures et les professeures associées nouvellement embauchées, afin d’encourager l'emploi des femmes.

Par Nami Sugiura

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Cet article est publié dans le cadre de “Towards Equality”, une opération de journalisme collaboratif rassemblant 15 médias d’information du monde entier mettant en lumière