
Taha Oudghiri est vice-président de l’AMEEN. Il est conseiller en finances et en management des affaires. Il est également juriste d’affaires. Il est par ailleurs l’auteur de nombreuses publications économiques et financières. Ses supports de publications ont été, entre autres, la Revue française de finances publiques, Le Monde, Le Monde de l’Economie, la CIAR, Cornell International Affairs Review de l’Université Cornell et, à plusieurs reprises, les colonnes de L’Economiste (Ph. TO)
Il est difficile d’explorer des pistes qui indiqueraient un raccourci pour une sortie de crise, sans se retrouver dans des sentiers battus. Il peut aussi être intéressant d’indiquer les chemins périlleux à ne pas emprunter, intéressant également de poser de bonnes questions plutôt que d’apporter de mauvaises réponses.
Ces réponses paraissent très compliquées, aujourd’hui, plus encore qu’hier, compte tenu de la conjugaison de plusieurs crises à la fois: crise sanitaire, économique et financière d’envergure mondiale qui plus est! Pour le Maroc, cette crise économique est dépendante et indépendante du Covid-19.
Bien évidemment, l’ampleur de la crise, de ses dégâts, sera proportionnelle à la taille des économies. Comme on peut déjà le constater pour les USA qui en payent le plus lourd tribut: humanitaire et économique. L’autre grande puissance, la Chine, suggère, par-delà sa «transparence opacifiée», la prudence dans les commentaires.
Cette crise mondiale a fait que des voix s’élèvent un peu partout dans le monde et que des déclarations, parfois à l’emporte-pièce, fusent dans tous les sens pour dire que le monde ne sera plus comme avant, le monde changera radicalement. L’Etatisme, le socialisme et le solidarisme seront remis au goût du jour et le libéralisme économique est à jeter aux orties. Certains pensent que le multilatéralisme aussi reculera, comme s’il n’avait pas déjà reculé. Il est encore plus mis à mal, voire achevé, sur les plans intra et intercontinental, par cette crise sanitaire, mais aussi, on l’oublie un peu vite, par la montée des extrémismes, et, à leur tête, celui du président Trump.
Cette résurgence des extrêmes s’est accompagnée d’une déconstruction lancinante du multilatéralisme. De ce constat, des idées hâtives ont vu le jour pour prédire l’émergence d’un nouvel ordre mondial qui devrait s’imposer. Et ils sont nombreux à penser qu’il sera moins asymétrique, plus équilibré, plus juste. Cependant, on peut s’interroger: l’architecture d’un nouvel ordre international peut elle sortir du chaos ambiant, peut-elle se faire sans négociations, sans adhésion des nations, ne serait-ce que de celles les plus influentes d’entre elles? On peut penser que ce n’est pas un nouvel ordre mondial qui verra le jour, mais bien plutôt un nouveau désordre mondial!
Le recentrage des pays occidentaux sur eux-mêmes en porte le témoignage. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, le ministre des affaires étrangères Français, Jean-Yves le Drian, a exprimé quelques inquiétudes quant à ce nouvel ordre mondial. Il dit craindre qu’il soit pire qu’avant. Le ministre exprime seulement des inquiétudes qu’il enrobe de précautions oratoires inhérentes à sa fonction et à son obligation de réserve.
Ce n’est pas des inquiétudes qu’il faut avoir, mais des certitudes que ce «nouvel ordre mondial» sera pire qu’avant, comme le croit, sans le dire clairement, le ministre. Néanmoins, on ne peut être optimiste, même modérément, pour penser que par un processus de touches et de retouches, d’accords et de conventions multilatérales, des équilibres dynamiques s’opéreront pour nous rapprocher d’un nouvel ordre mondial.

Sur quel horizon, c’est là toute la question? La première condition à satisfaire, pour réduire cet horizon, est que le président actuel des Etats-Unis ne soit pas réélu. Ce sont les USA qui impulsent les orientations mondiales, qui influencent les accords internationaux ou les frappent de nullité ou presque.
La Chine, elle, n’a même plus à jouer des coudes pour des repositionnements politiques mondiaux et multilatéralistes. Elle occupe juste les places laissées vacantes par les USA, repliés sur eux-mêmes. La Chine, pour ratisser plus large, théâtralise aussi les concours qu’elle apporte aux nations meurtries par ce virus, l’Italie notamment, mais pas seulement. Les routes de la soie qu’elle trace, pour «fluidifier ses échanges», traversent l’Asie, l’Europe, et plus récemment, l’Afrique et s’arrêtent toutes chez elle.
Une superposition de crises
Pour le Maroc, on ne peut faire l’impasse de la crise agricole qui l’affecte de plein fouet. On observera que la population rurale est estimée au Maroc à 18 millions de personnes, c’est-à-dire 49% de la population. Le secteur agricole est parmi les principaux pourvoyeurs d’emplois avec plus de 4 millions de personnes employées. Ce réservoir d’emplois représente 42,8% de la population active. L’amont agricole a oscillé, au titre des cinq dernières années, entre 75 et 110 milliards de DH et représente bon an, mal an, 15% du PIB. C’est dire qu’il y a beaucoup d’eau dans le PIB marocain !
Lorsqu’elle vient à manquer, la situation économique – déjà en berne par la Covid-19 – devient autrement plus compliquée et elle ne peut se combattre ni par le confinement, ni par un enthousiasme des populations qui aurait, comme théâtre, le champ économique. Traditionnellement, des compensations ou des atténuations des effets de la sécheresse étaient trouvées dans le secteur secondaire (industrie manufacturière et constructions) et plus encore dans le secteur tertiaire (commerce, finances, transport, tourisme, hôtellerie, restauration et enseignement), tous ces secteurs sont sinistrés en même temps. Voilà en quoi cette situation est inédite au Maroc.
La densification de la pauvreté et le déclassement social, des classes moyennes notamment, rattrapées par la pauvreté, posera un autre problème socioéconomique: d’inclusivité et de demande économique. Dans sa dernière étude sur les effets du Covid-19, le FMI a estimé que 10 à 30 années de développement vont être perdues et 500 millions de personnes seront jetées dans la pauvreté, soit quasiment la population de l’Union européenne. Ces prévisions catastrophiques ne peuvent emporter adhésion par-delà leur très grande approximation: 10 à 30 ans, ce n’est plus des approximations, mais des spéculations.
C’est dans cet environnement national et international que le Maroc devra se battre et se débattre pour accélérer sa sortie de crise, lorsque ce virus lâchera prise. Cet environnement est d’autant plus défavorable, que les partenaires traditionnels du Maroc seront aussi affectés, aussi diminués que lui.
Tous se bousculeront et se bousculent déjà sur les marchés de capitaux internationaux, mais ils ne lèveront pas du capital aux mêmes conditions, hélas! Ils solliciteront également leur épargne domestique avec les risques d’effets d’éviction du secteur privé. Enfin, ils tireront sur leurs banques centrales avec les risques inflationnistes que l’on connaît, même si les expériences occidentales ont montré que la déflation n’a pas cessé de menacer malgré des injections massives des liquidités.
L’endettement du Japon est proche de 250% du PIB et les prix sont restés plutôt stables. Dans quasiment tous les pays d’Europe, à l’exception de la Suisse, de l’Allemagne et des pays scandinaves, l’endettement public va dépasser le PIB. En fait, cet endettement ne pose problème que lorsqu’il est majoritairement alloué aux dépenses de fonctionnement.
Et enfin, ces Etats s’appuieront sur leur principale source de ressources publiques: l’impôt. Les marges de manoeuvre paraissent limitées pour le Maroc aussi bien sur le plan monétaire que fiscal. En somme, il s’agira de la Policy-mix, une recherche de la combinaison optimale entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Ces politiques sont compliquées à mettre en oeuvre avec succès, même lorsqu’il y a des ajustements qui se font par itération: les temporalités des banques centrales ne sont pas celles des gouvernements.
Augmenter les impôts est réduire les dépenses publiques fait le lit de la récession. Ce n’est pas cette politique qui se fera pour sortir de cette crise, c’est plutôt le contraire. Mais cette politique finira par s’imposer pour que l’Etat puisse amorcer le remboursement de l’endettement colossal auquel cette crise donnera naissance. Cette politique (de hausse des impôts et baisse des dépenses publiques) sera récessive. Les crises se relayeront, l’une nous passera à l’autre, sauf si l’on enregistre des taux de croissance économique que l’on ne réalise pas encore ou que l’on bénéficie d’annulations de dettes.
(Demain 2e partie)
---------------------------------------------------------
(1) Cet article reprend l’essentiel d’une communication faite, par l’auteur, lors de la rencontre à distance organisée, le 30 avril, par l’Association marocaine des économistes d’entreprises, l’AMEEN, à l’initiative d’Ahmed Azirar, son fondateur et par le Centre d’études et de recherches Aziz Belal, CERAB.
Chère lectrice, cher lecteur,
L'article auquel vous tentez d'accéder est réservé à la communauté des grands lecteurs de L'Economiste. Nous vous invitons à vous connecter à l'aide de vos identifiants pour le consulter.
Si vous n'avez pas encore de compte, vous pouvez souscrire à L'Abonnement afin d'accéder à l'intégralité de notre contenu et de profiter de nombreux autres avantages.