Page 16 - L'Economiste Campus Le best of 2020-2023
P. 16
XVI
Revues prédatrices:
n Des critères qui prêtent à
confusion
n Certaines rusent pour faire
tomber les chercheurs dans
leurs filets
QU’EST-CE qu’une revue pré-
datrice? «Là est toute la difficulté du
sujet, car il n’existe pas de définition
satisfaisante à 100%», relève Ka-
cem Rharrabe, enseignant-chercheur
à l’université Abdelmalek Essaâdi
de Tétouan, également président du
Centre marocain des TIC scienti-
fiques. Il est ainsi difficile de se pro-
noncer sur le caractère prédateur ou
non d’un titre. Imposer des frais aux
auteurs n’est, par exemple, nulle-
ment une preuve, puisque la pratique
est générale, y compris parmi les
titres les plus prestigieux. «Même
le fait de ne pas être indexée par une
base de données crédible, comme de chercheurs de pays connus pour top 2% mondial des plus in-fluents l’univer-sité Wrocław en Pologne
Scopus, Web of Science ou DOAJ, leur rigueur scien-tifique...», détaille en sciences. Le premier à avoir éla- publient sur la prestigieuse revue
ne signi-fie pas forcément que la Ghogho. «On m’a proposé à plu- boré une liste de supports présumés Nature les résultats d’une enquête
revue est prédatrice. C’est le cas de sieurs reprises d’être éditeur invité préda-teurs est un bibliothécaire de démarrée deux ans plus tôt. Après
plusieurs titres cotés en sciences hu- d’un numéro spécial dans ce genre l’Uni-versité du Colorado, Jeffrey avoir créé un faux CV d’une éditrice,
maines et sociales», soutient Rhar- de revues, mais j’ai toujours refusé. Beall. Son recueil, partagé en 2012 Anna O. Szust (Oszust étant le mot
rabe. Néan-moins, quelques signes Malheureusement, certaines uni- via un blog, en a inspiré d’autres. polonais désignant «une fraude»),
ne trompent pas, comme le recours versités marocaines les acceptent», Menacé de procès par des éditeurs, «lamenta-blement inadéquat pour
à des tarifs très bas, accompagnés de témoigne Abdellah Ben-zaouia, il a dû reti-rer sa liste noire en 2017. occuper le poste de rédactrice dans
campagnes massives de emailing et chercheur, également classé dans le La même année, des chercheurs de une revue» et avec des informations
de spaming auprès des chercheurs.
«Elles les invitent à publier chez
elles. Les tra-vaux sont systémati- Peu de revues marocaines indexées
quement acceptés et édités très rapi-
dement, quelle que soit leur valeur Scopus Web of Science DOAJ
scientifique», précise Mounir Gho- ■ Bulletin d’archéologie ■ Moroccan journal of chemistry 25 revues
gho, doyen du College of Doctoral marocaine ■ Journal of medical and surgical research
Studies et directeur du labo-ratoire ■ Bulletin de l’insti- ■ Bulletin de l’institut scientifique, section sciences de la terre-Rabat
TIC de l’UIR, classé parmi le top tut scientifique, section ■ Bulletin de l’institut scientifique, section sciences de la vie-Rabat
2% des chercheurs les plus impac- sciences de la terre ■ Documents de l’institut scientifique- Rabat
tants au monde dans le domaine des ■ Mediterranean journal of ■ Hesperis Tamuda
sciences, selon Stanford Univer- chemistry ■ Travaux de l’institut scientifique, série générale
sity. Elles font ainsi l’impasse sur ■ Physical and chemical ■ Travaux de l’institut scientifique, série géologie et géographie physique
le peer review. Leur seul souci est news ■ Travaux de l’institut scientifique, série zoologie
de récolter de l’argent auprès des
auteurs. A août 2020, le Maroc comptait 38 revues indexées sur les bases de données les plus cotées (Scopus, WOS et DOAJ)
«Pour brouiller les pistes et attirer Source: CNRST (Liste à août 2020)
l’attention des communautés scien-
tifiques, elles emploient plusieurs EN termes de productions également ceux qui possèdent le Journal Rankings, SJR) sur 194
techniques: affichage d’identifiants scientifiques indexées sur la base plus de revues indexées. «Ils nous recensées en Afrique, contre 65
ISSN (International Standard Serial des données Scopus, le Maroc dépassent, entre autres, parce qu’ils pour l’Afrique du Sud et seulement
Number) et DOI (Digital Object arrive 6e en Afrique sur la période possèdent plus de journaux locaux 1 pourleMaroc.Dans ce ranking, le
Iden-tifier) erronés ou usurpés, de 1996-2019 (voir L’Economiste bien cotés, et parce qu’ils publient Royaume fait moins bien que le
faux Facteurs d’Impact, des bases N° 5943 du 9 février 2021). Le plus en anglais», pense Ka-cem pour le Maroc. Dans ce ranking,
de don-nées d’indexation, des titres haut du clas-sement est occupé Rharrabe. En 2019, l’Egypte comp- le Royaume fait moins bien que
de revues très proches de celles par l’Afrique du Sud, suivie de tabilisait 113 revues indexées par le Nigeria (5), l’Ethiopie (2) et
reconnues, pu-blication d’articles l’Egypte. Les deux pays sont Web of Science (selon Scientifique l’Uganda (2). o
Décembre 2023