Page 6 - Dossier Jeunes
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IV
Qui sont nos jeunes?
La jeunesse rêve d’un Maroc plus équitable
(Suite de la page II)
ceux qui s’opposent à l’idée d’étu- qui trinque le • Les laissés-pour-compte: Des «désabusés»!
dier hors du Maroc plus, car per-
sont le manque de çu de façon CES jeunes, un peu plus du quart de l’échantillon, sont des «désabusés»
maturité et la crainte plus négative: qui vivent des situations précaires. En crise financière (moins de 500 DH par
du racisme pour la «manque d’implica- mois) et sans emploi, ils sont désabusés. Ils sont pour la plupart assistés par
cible urbaine, et tion et de professionna- leurs parents qui eux-mêmes ne disposent pas de moyens mirobolants, ou
des contraintes et lisme des enseignants, bien vivent de petits jobs sans envergure, alors que leur principal objectif est
pressions fami- lacunes et baisse du d’avoir un travail qui paye bien pour aider leurs parents. D’ailleurs, la plupart
liales pour le niveau scolaire ne disposent pas de compte bancaire et n’épargnent jamais parce qu’ils n’ont
rural». Un souci liées à la crise pas les moyens de le faire. Et leurs achats se réduisent à des choses élémen-
qui ne se pose du Covid, conditions taires à la qualité aléatoire... Que font-ils alors de leur temps? En tout cas, ni
pas pour les d’apprentissage difficiles liées sport, ni évènements culturels, ni vie associative. Leurs loisirs sont à l’image
étudiants du privé dont la majorité à des effectifs d’élèves/étudiants de leur style de vie et se limitent à faire des activités manuelles et
(lycéens et étudiants) aimeraient trop nombreux et perturbateurs, et visiter leur famille. Ils sont plus branchés télé et radio, que
poursuivre leurs études à l’étranger, manque de proximité des établisse- réseaux sociaux avec une nette préférence pour You-
«pour mieux apprendre et gagner en ments scolaires dans le rural». Tube et Facebook. Pro- téger l’environnement, ou ré-
qualité de vie», comme le souligne Un point qui rassure tout de duire sa consommation? 26% Nul besoin de prêcher des
ce jeune lycéen du privé, «J’aimerai même, de voir que la jeunesse, mal- convertis, premiers tou- chés par ces problématiques.
vivre seul pour apprendre à m’assu- gré toutes les sirènes de l’étranger, Réduction de la consom- mation d’eau, d’électricité,
mer et avoir une expérience de vie». affiche un certain discernement. Et gaspillage alimentaire... Ces gestes de préservation sont, chez
Et s’ils ont envie de partir, c’est surtout qu’ils comptent participer à eux, quotidiens, plus par nécessité que par choix du fait qu’ils sont les pre-
parce qu’ils ne sont pas satisfaits l’édification et au développement de miers à souffrir de sècheresse et de pollution. Alors, pour oublier leur misère,
de la qualité de l’enseignement qui leur pays. Une attitude qui devrait ils cherchent refuge dans les paradis artificiels. Tous disent avoir consommé
leur est prodigué, aussi bien dans être prise très au sérieux par les toutes les formes de substances toxiques telles que la cigarette, la chicha,
le public que dans le privé. Mais responsables actuels afin de recen- l’alcool, le cannabis et autres drogues dures, et consomment régulièrement la
c’est, bien évidemment, le public trer encore plus leurs efforts sur un cigarette, alcool et le cannabis. Contrairement aux trois groupes précédents,
la politique, ils en sont totalement insatisfaits (74% d’entre eux) et c’est le
• Les jeunes en construction: «Peace», et ultra connectés groupe de personnes qui vote le plus (24% tout de même), car le plus touché
par les inégalités. Ils auraient souhaité que la classe politique se penche plus
sur leur cas et leur offre des parades convenables contre la pauvreté, améliorer
IL s’agit des «Teenagers» de 15-16 ans, pour la majorité des périurbains leur pouvoir d’achat et trouver de l’emploi. Mais ils ne sont pas dupes: si un
et vivant dans un standing populaire (de CSP moyenne et inférieure «C- et jour la chance leur sourit, ils investiraient à coup sûr dans l’immobilier, suivant
D E»). Ils sont plutôt «peace», et ultra connectés... et encore malléables. Mi- l’adage populaire «cacher l’argent dans la pierre». Et malgré l’optimisme
rebelles, mi-geeks et surtout pantouflards, ils se transbahutent en groupes et qu’ils affichent quant à leur avenir, ils n’ont qu’un rêve c’est quitter le Maroc.
comptent indéfectiblement les uns sur les autres. Déjà, et c’est un bon point, En ce qui concerne les relations homme-femme, le mariage oui et rapidement
ils affirment n’avoir jamais consommé de drogues, ni même de cigarettes! (autour de 27 ans), mais pour tout le reste, attitude inflexible. Pas d’union avec
A l’instar des jeunes du monde, ils sont ultra connectés, totalement un non-musulman, prison pour les relations hors mariage (donc pas d’héber-
accros aux réseaux sociaux, en tous genres. Mais cela ne gement dans un hôtel si non mariés), l’homosexualité et l’avortement. Et la
les empêche pas non plus de «bringuer» avec les potes femme, bien sûr, doit porter le hijab. Ils font toujours la prière.o
ou voyager. En matière de 30% religion ou de tabous, nos
teenagers sont pétris de com- plexes: même si pour eux
l’héritage devrait être égal entre les femmes et les cadre d’enseignement et d’évolu- 593 jeunes actifs de l’échantillon et
hommes, ils perpétuent la vision classique du mariage tion adéquats pour ce terreau fertile relèvent surtout des classes C- et DE.
(pas d’extra en dehors du ma- riage). Premier paradoxe: et volontaire. Ces jeunes pousses Les raisons tiennent en particulier à
une femme sexy mais «enturbannée» (hijab) et surtout vierge pour se marier. sont les relais de l’insuffisance des salaires par 79%
L’homme, lui, peut pratiquer la polygamie, sans problème. Des idées reçues demain, d’entre eux.
et tranchées, à un âge, où leurs référents sont encore très influencés par dans un
l’environnement familial. En revanche, ils confessent ne faire la prière que de m onde
temps en temps ou rarement. L’école pour eux, ça va plus ou moins. Même qui change Sonnette d’alarme
s’ils déplorent le manque d’engagement des professeurs et la surcharge des à une vi-
devoirs, ils avouent aussi leurs difficultés d’apprentissage, et manque de tesse ahu- Alerte rouge, en revanche du côté
concentration. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’ils s’imaginent aller rissante des jeunes chômeurs à surveiller de
faire leurs études ailleurs. Le Maroc, ils y sont ils y restent. D’ailleurs, ces et pour près et pour qui il faudrait confec-
Tanguy en herbe, ne se voient même pas quitter le domicile parental. Le lequel ils tionner des plans sur mesure au
mariage pour eux, ce n’est pas avant 30 ans, le temps de se faire de bonnes doivent risque d’un débordement. Ces der-
études et gagner «plein d’argent». Leurs priorités pour les mois à venir sont être armés. L’entreprise doit égale- niers ressentent «une grande démo-
plus orientées vers l’accomplissement de bonnes études qui leur permettrait ment participer à cette dynamique tivation, du désespoir et de la colère.
d’obtenir une situation financière satisfaisante. A quoi ils rêvent? Un Maroc de construction, car si aujourd’hui, Ils ont le vif sentiment d’avoir été
plus équitable qui assurerait une meilleure justice et sécurité aux citoyens et leur 7 jeunes sur 10 sont globalement délaissés par l’Etat marocain et sont
offrirait logement et emploi. En qui croient-ils? Surtout pas les politiques dont contents de leur travail, il faut prêts à immigrer quelle que soit la
ils ignorent même les noms. Ils s’en fichent comme d’une guigne, autant que aussi tenir compte des insatisfaits. destination». Un d’entre eux, dans
des considérations environnementales.o Ceux-ci représentent le tiers des sa déclaration, livre son désarroi,
(Suite en page VI)
Vendredi 25 Novembre 2022