Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’université d’Harvard, est le premier lauréat du prix Albert O. Hirschman du Social Science Research Council. Son dernier livre s’intitule One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth (Une économie, plusieurs recettes; globalisation, institutions et croissance). On retrouvera ses théories dans la Review of Economics and Statistics. On peut discuter avec lui (en anglais) sur [email protected]Certains pays émergents auraient dû sentir le vent et se protéger à temps. Il n’y a pas vraiment d’excuse pour l’Islande, par exemple, qui s’est pour ainsi dire transformée en un fonds spéculatif à fort effet de levier. Plusieurs autres pays d’Europe centrale et de l’Est, comme la Hongrie, l’Ukraine et les États baltes vivaient aussi dangereusement, avec des comptes courants fortement déficitaires et des entreprises et les ménages sévèrement endettés en devises étrangères. On peut toujours compter sur l’Argentine, l’enfant terrible du système financier international, pour trouver une astuce propre à faire blêmir les investisseurs - en l’occurrence, la nationalisation des fonds de pension privés.Mais les marchés financiers n’ont pas fait de distinction entre ces pays et d’autres pays, comme le Mexique, le Brésil, la Corée du Sud et l’Indonésie, qui il y a quelques semaines encore étaient perçus comme des modèles de santé financière.Prenons par exemple la Corée du Sud et le Brésil. Les deux économies ont récemment connu des crises monétaires – la Corée du Sud en 1997-1998 et le Brésil en 1999 – et ont en conséquence pris des mesures pour améliorer leur résilience financière. Les deux pays ont réduit l’inflation, laissé flotter leur monnaie, fait en sorte d’avoir des soldes extérieurs excédentaires ou légèrement déficitaires, et surtout ont accumulé des réserves de change énormes (qui aujourd’hui excèdent largement leurs dettes extérieures à court terme). La bonne conduite financière du Brésil a été récompensée, en avril de cette année, par l’octroi de la notation investment-grade par l’agence américaine d’évaluation des risques Standard & Poor’s (la Corée du Sud est notée investment-grade depuis des années).
Si le monde était juste, la plupart des marchés émergents regarderaient la crise financière qui a frappé les économies avancées depuis la ligne de touche – peut-être pas entièrement indemnes, mais en tout cas pas très inquiets. Pour une fois, ce n’était pas leurs excès qui avaient mis le feu aux poudres, mais ceux de Wall Street.La situation financière et extérieure des marchés émergents n’avait jamais été meilleure, grâce aux dures leçons que les crises à répétition de leur propre histoire leur avaient enseignées. On aurait même pu leur concéder un certain plaisir malicieux à considérer les déboires des Etats-Unis et des autres économies avancées, de la même manière dont l’on peut s’attendre à ce que les enfants prennent un malin plaisir à voir leurs parents s’attirer précisément les ennuis contre lesquels ils mettent leurs enfants en garde.Mais ce que nous voyons aujourd’hui sont des marchés émergents qui subissent des convulsions financières, peut-être de dimension historique. La crainte n’est plus qu’ils ne puissent plus s’isoler, mais que leurs économies puissent être entraînées dans des crises bien plus profondes que celle qui affecte l’épicentre de la débâcle des subprimes.
La marche à suivre est claire. Le Fonds monétaire international et les banques centrales des pays du G-7 doivent agir comme prêteur de dernier ressort et fournir des liquidités sur une grande échelle -rapidement et avec un minimum de conditions- pour soutenir les devises des marchés émergents. Le montant des prêts nécessaires s’élèvera sans doute à plusieurs centaines de milliards de dollars, une somme bien supérieure aux opérations effectuées par le FMI jusqu’à présent. Mais les ressources ne font pas défaut. Si nécessaire, le FMI peut même recourir aux droits de tirage spéciaux (DTS) pour dégager des liquidités au plan mondial.De plus, la Chine, qui détient près de 2.000 milliards de dollars en réserves de change (soit plus de 30 fois tout le PIB marocain), doit participer à cette opération de sauvetage. Le dynamisme de l’économie chinoise repose en grande partie sur les exportations qui ne manqueraient pas de souffrir d’un effondrement des marchés émergents. La Chine, qui a besoin d’une forte croissance pour contenir les troubles sociaux, pourrait bien être la plus sévèrement touchée par une récession mondiale.Copyright: Project Syndicate, 2008.Traduit de l’anglais par Julia GALLIN
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