Economiste de formation et titulaire d’un MBA, Adil Hajji, après un premier contact avec le monde de la Finance aux Etats-Unis, travaille actuellement au sein d’une grande banque de la placeLa crise financière a donné lieu à de nombreuses réactions. Par exemple, le président français exige que des membres influents de la finance internationale «rendent des comptes», et le candidat républicain à la présidence américaine menaçait de «nettoyer» les couloirs de Wall Street et de Washington. Les mots sont durs. Il est vrai que l’heure est grave puisqu’il semble que cette crise financière soit aussi profonde que celle de 1929. Beaucoup attribuent la crise à l’effondrement du prix de l’immobilier américain couplé à l’incapacité des banquiers à apprécier le risque de crédit des acquéreurs de biens immobiliers. Soyons plus nuancés. L’effondrement du prix de l’immobilier américain est une conséquence et non une cause. Le vrai coupable est la remontée des taux d’intérêt américain ou la stabilisation pendant une période importante de ces taux à des niveaux anormalement bas d’autant plus que l’histoire montre que la tendance inflationniste des économies de marché n’est pas une exception mais probablement la règle. Sachant cela, pourquoi l’ancien puissant président de la Fed, Alan Greenspan, a-t-il toléré des taux d’intérêt anormalement bas? S’il s’était trompé? S’il avait considéré à tort un nouveau paradigme économique qui dirait que l’impact de la mondialisation sur les prix compense la tendance naturelle à l’inflation des économies de marché dont les Etats-Unis sont le plus illustre représentant? Contrairement à la Banque centrale européenne, la Fed a comme objectifs, en sus de la stabilité monétaire, la croissance et l’emploi. Il est possible alors que pour masquer les échecs militaires en Irak et en Afghanistan, il eut fallu au moins à cette administration une réussite économique, domaine aussi important pour les Américains que le patriotisme. Malheureusement, il semble que ce surcroît de croissance économique n’était qu’artificiel. La Fed a peut-être alors subi des pressions de la part de l’administration Bush. Greenspan en est accusé, mais il s’en défend.Tant bien même que nous supposions que la Fed n’ait pas subi de pression (hypothèse la plus probable), les gouvernements occidentaux et en particulier le gouvernement américain ont probablement sous-estimé l’ampleur de la crise au nom du sacro-saint libéralisme et ils ont assumé dès le départ certains dommages collatéraux qu’ils pensaient surmontables dont entre autres la faillite de Lehmann Brothers: «que chacun assume les conséquences de ses actes, les pures banques d’investissement ne seront pas épargnées par une faillite si elles ont pris de mauvaises décisions en termes de gestion de risque ou d’investissement». Aussi, en sus des ménages moyens, aux yeux des nombreux gouvernements souvent libéraux, les banquiers et financiers sont devenus de facto des boucs émissaires salvateurs alors que la responsabilité première incombait peut-être à une politique monétaire trop accommodante. Le débat reste ouvert. Pour une partie des opérateurs de marché, l’évolution de certains prix de marché était intrigante, pour d’autres, souvent les moins expérimentés, c’est l’économie qui avait changé: montée en force de nouvelles puissances économiques (les «BRIC»: Brésil, Russie, Inde et Chine), plus grande accessibilité à l’information (Internet, mobile phone), montée en force des services, mondialisation des entreprises,…Il était clair cependant que même si de nouvelles forces s’étaient mises en place, certains mouvements des prix de marché s’étaient probablement déconnectés de la réalité économique puisque les modifications structurelles supposées de l’économie mondiale ont des effets continus et non brutaux sur les prix (processus de convergence vers l’équilibre).Pour exemple, le prix du pétrole passa en quelques mois de 60 à 100 dollars le baril puis à 150 dollars et il était expliqué par de nombreux économistes par l’augmentation de la consommation de pays comme la Chine, puisque les troubles géopolitiques (Irak, Venezuela,…) n’ont le plus souvent qu’un impact conjoncturel. Force est de constater en analysant les données de ces pays que la consommation de pétrole dans les BRIC n’a jamais varié d’autant. Autre exemple, la surprenante remontée de l’euro contre le dollar US (un mouvement brutal qui a fait passé le cours de 1,20 en 2007 à 1,60 en 2008 sachant que quelques années plus tôt et pendant 3 ans ce cours de change avait de la peine à franchir la parité, soit 1 euro = 1 dollar). La plupart des économistes expliquait le récent mouvement brutal de l’euro contre le dollar par une «prise de conscience» de l’ampleur des twin déficits américains (budgétaire et commercial), mais ces derniers ont quasiment (à une exception près pour le déficit budgétaire) toujours existé. Pourquoi s’en soucier maintenant? Idem pour les dérivés de crédit, la baisse des taux d’intérêt américains puis par contagion des taux mondiaux ont poussé les principales banques d’investissement à redoubler d’effort d’ingénierie pour vendre des produits risqués mais ayant un rating global accessible pour bon nombre d’investisseurs. D’autre part, les spreads de crédit, et en particulier les spreads des CDS (credit default swap) ont commencé à fondre comme neige puisque le niveau bas et durable des taux d’intérêt poussaient les investisseurs dont certaines banques à prendre des risques de crédit supplémentaires sur leur placement pour bénéficier d’un taux bonifié. Ainsi, à titre d’illustration, le spread des pays émergents (autrement dit le spread de crédit représentatif du risque lié à un panier représentatif de pays émergents) était de plus de 1.000 points de base courant 2003 pour toucher un niveau de moins de 200 points de base en 2007. Tôt ou tard le système devait lâcher. Une distorsion de prix liée à une politique monétaire américaine non adaptée a probablement conduit à des déséquilibres. L’être humain a la mémoire courte et il a aussi tendance à être court-termiste dans sa vision du futur. La mémoire courte car l’histoire économique est rythmée par les cycles économiques qu’ils soient longs ou courts (Juglar, Kondratiev,…). Autrement dit, les distorsions économiques ne perdurent pas même si des modifications structurelles importantes touchent l’économie. Court-termiste dans le sens où l’être humain doit gérer sa survie immédiate: le trader doit réaliser son objectif annuel pour encaisser son bonus, le commercial ou sales doit vendre à court terme et remplir les bons de commandes, le président d’une banque doit rendre des comptes lors du prochain conseil d’administration. Keynes disait bien «à long terme, nous serons tous morts».
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