
Jean-Paul de Gaudemar: «Le risque aujourd’hui est d’avoir relativement trop de docteurs par rapport aux qualifications intermédiaires. Et pour le développement de l’économie, il faut toute la chaîne» (Ph. Bziouat)
Afin de réussir le pari de l’employabilité de ses lauréats, l’université marocaine doit relever une multitude de défis. Promouvoir la formation professionnelle, construire des liens solides avec le monde de l’entreprise, s’approprier l’outil numérique, assurer la qualité des enseignements tout en gérant des effectifs de plus en plus importants… Pour Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie (l’opérateur universitaire de l’Organisation internationale de la francophonie, dont le réseau compte 800 universités dans une centaine de pays), ce pari est jouable. Mais il est d’abord nécessaire de réviser tout le modèle et de l’adapter aux contraintes locales.
- L’Economiste: Les pays d’Afrique du Nord, ont-ils des défis communs en matière d’enseignement supérieur?
- Jean-Paul de Gaudemar: Les pays du Maghreb, malgré leurs différences et singularités, rencontrent des questions communes. Ils ont un taux de scolarisation au supérieur tout à fait comparable à ce que l’on trouve en Europe. Le défi qui se pose aujourd’hui est celui de la qualité. Autre point majeur, celui de l’insertion professionnelle des diplômés. Pour cela, la construction d’une relation de confiance pérenne entre le monde universitaire et le monde économique est nécessaire. L’université doit aussi repenser son offre de formation. A quoi bon former des docteurs et des titulaires de masters dans une économie qui n’a pas la capacité de les absorber? L’université doit forger toute la chaîne de qualifications.
Afin de créer des emplois, il faut également développer l’esprit d’entrepreneuriat. Et là, l’Agence peut apporter sa contribution, à travers l’expérience d’autres universités du réseau.
- Concrètement, quel est l’apport de l’Agence?
- D’abord l’intermédiation. Nous aidons à constituer des consortiums et à mettre en relation des équipes d’experts. En matière de formation de formateurs dans le numérique, par exemple, nous impulsons des programmes et nous aidons financièrement. Dans les universités du réseau, nous comptons plusieurs campus numériques qui peuvent être utilisés comme lieux privilégiés pour l’innovation pédagogique.
Actuellement, nous construisons un méta-portail numérique qui a vocation à rassembler toutes les formations numériques francophones à distance, et qui permettra aux universités de chercher des formations en accès libre. Il sera opérationnel dès cette année.
L’Agence appuie également la recherche dans des universités qui ont du mal à s’y investir. Sans compter ses programmes classiques d’aide à la mobilité des étudiants à travers des bourses.
- Des projets seront-ils bientôt lancés au Maroc?
- Nous préparons surtout des projets qui s’adressent aux bailleurs de fonds, comme l’UE et la Banque mondiale, afin de lancer des opérations autour de l’employabilité des diplômés. Il s’agira d’une meilleure prise en compte de cette question de la formation professionnelle et de la construction de toute la chaîne de qualification. Le risque aujourd’hui est d’avoir relativement trop de docteurs par rapport aux qualifications intermédiaires. Et pour le développement de l’économie, il faut toute la chaîne.
- Le Maroc pourrait-il s’inspirer de certains modèles francophones qui marchent?
- Le Maroc a déjà hérité d’un modèle français loin d’être parfait, lui-même appelé à des évolutions absolument indispensables. Il faudra d’abord sortir de ce modèle obsolète, d’en inventer un qui soit moins préoccupé par la transposition de ce qui se passe ailleurs, mais axé sur des questions locales essentielles. Ce modèle doit être adapté à ce grand défi qu’est l’insertion professionnelle des diplômés. Le système LMD, par exemple, est intéressant, mais si l’on se contente juste de le transposer, il peut avoir des effets pervers.
De la qualité avec un système gratuit
Le recteur de l’Agence universitaire de la francophonie en est convaincu. Pour Jean-Paul de Gaudemar, il est tout à fait possible de monter un système d’enseignement de qualité entièrement gratuit, même si le défi est énorme. «La gratuité a le mérite d’ouvrir les portes à tous, mais elle exige encore plus de rigueur en matière de qualité. Et c’est là où il faut inventer de nouveaux outils», relève-t-il. En clair, il faudra concevoir un nouveau modèle pédagogique s’appuyant sur le numérique, afin de permettre de lancer des cursus à distance et d’encourager l’autoformation des étudiants. Grâce au numérique, il sera possible de combiner à la fois la quantité et la qualité. Mais des difficultés se posent, comme l’appropriation des nouvelles technologies, la formation, l’équipement,…
Propos recueillis par
Ahlam NAZIH
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