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Transition Par Ahlam NAZIH
Le 20/06/2025

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Est-ce la fin de la toute-puissance du dollar?

Par Kambiz ZARE | Edition N°:7027 Le 06/06/2025 | Partager

Kambiz Zare est professeur de commerce international et de géostratégie à KEDGE Business School

«Qui ne sait pas lire et vit avec un dollar par jour ne ressentira jamais les bienfaits de la mondialisation», disait l’ancien président démocrate états-unien Jimmy Carter. La suprématie du dollar états-unien, autrefois incontestée, attestée par l’ancien président démocrate, apparaît de plus en plus fragilisée. S’il a longtemps été l’axe central du système monétaire international, le dollar continue de dominer les échanges commerciaux, les réserves de change et la cotation des matières premières.

La monnaie états-unienne est présente dans près de 90% des transactions sur le marché des changes. Près de 60% des réserves de change des banques centrales sont en dollars. La moitié des exportations mondiales sont aussi libellées en dollars. La montée en puissance de monnaies alternatives comme l’euro ou le yuan, la diversification des réserves par de nombreux pays et la volonté croissante de contourner la dépendance au dollar signalent une recomposition de l’ordre monétaire mondial.

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Dans ce contexte, la dédollarisation ne représente pas une menace pour l’Union européenne, mais une véritable opportunité stratégique. En consolidant ses atouts économiques et en renforçant l’internationalisation de l’euro, l’Union européenne (UE) pourrait faire de sa monnaie un levier d’influence géopolitique majeur. Pourquoi? Tous les principaux facteurs et conditions qui ont permis la domination du dollar américain – à l’exception du pétrodollar dans les années 1970 – sont réunis aujourd’hui pour l’euro: économie de grande taille, rôle majeur dans le commerce international et stabilité macroéconomique.

L’euro face au dollar

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Depuis sa création en 1999, l’euro peine à rivaliser avec le dollar. La raison? Des faiblesses structurelles, notamment l’absence d’un marché des capitaux unifié et d’une gouvernance budgétaire centralisée. Le graphique ci-dessous retrace l’évolution de l’euro face au dollar, depuis sa mise en circulation en 1999. Dans les premières années, entre 1999 et 2002, l’euro démarre à un niveau relativement bas, valant moins qu’un dollar américain. Cette faiblesse initiale provoque une perte de confiance dans cette nouvelle devise, encore peu établie sur les marchés internationaux.

À partir de 2002, l’euro entame une période de forte appréciation, jusqu’à dépasser 1,50 dollar en 2008. Cette montée reflète une confiance croissante dans l’économie européenne, tandis que le dollar, de son côté, se fragilise sur la scène mondiale. En 2022, l’euro atteint presque la parité avec le dollar, c’est-à-dire qu’un euro vaut quasiment un dollar. Cette situation inédite résulte notamment du conflit en Ukraine et d’un contexte mondial fortement inflationniste. Depuis 2023, l’euro semble s’être stabilisé, évoluant dans une fourchette relativement étroite entre 1,05 et 1,10 dollar, sans variations majeures.

L’euro: Deuxième devise au monde

L’euro constitue le pilier central du système financier européen. Devise officielle de vingt États membres de l’Union européenne, l’euro est utilisé quotidiennement par plus de 350 millions de personnes. Elle dépasse largement les frontières de l’Europe pour s’imposer comme une monnaie de référence à l’échelle mondiale. À ce jour, environ 60 pays et territoires ont arrimé leur monnaie à l’euro, illustrant son rayonnement international. Plus de vingt-cinq ans après sa création, l’euro a démontré une résilience remarquable. En 2023, il représentait près de 20% des réserves de change mondiales, derrière le dollar américain. Il demeure la deuxième devise la plus utilisée au monde pour les opérations de prêt, d’emprunt et les réserves des banques centrales.

À la différence d’autres regroupements régionaux, comme le Conseil de coopération du Golfe (GCC) qui a tenté en vain d’instaurer une union monétaire, l’euro s’est imposé. L’union monétaire du GCC a échoué en raison du refus de ses États membres de céder leur souveraineté monétaire. Le commerce intrarégional limité et la volatilité des prix du pétrole ont renforcé les priorités nationales. Face aux crises financières et économiques, l’Union européenne a su renforcer son cadre institutionnel, élargir le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) et stabiliser ses marchés. L’un des fondements de cette réussite réside dans le système européen de banques centrales (SEBC).

                                                      

Monnaie de réserve

À condition de poursuivre les réformes indispensables, l’euro a le potentiel de s’affirmer comme une devise de réserve et de transaction de premier plan, en particulier dans le cadre des échanges commerciaux et des accords énergétiques. Ces réserves sont largement détenues par les banques centrales. Elles permettent à la Banque centrale européenne (BCE) de disposer de liquidités suffisantes pour conduire des opérations de change ou faire face à un déficit de sa balance commerciale. Or, le dollar américain occupait le rôle dominant de devise de réserve depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ce statut présente plusieurs avantages: facilité avec laquelle les prix peuvent être comparés d’un pays à l’autre, stabilité des prix et de la croissance économique, etc. Pour les pays de l’Union européenne, l’un des principaux avantages réside dans l’amélioration de la liquidité, facilitant ainsi l’accès au capital pour les entreprises européennes. Ces bénéfices s’accompagnent de coûts importants. La forte demande d’euros tend à en renforcer sa valeur, rendant les exportations européennes plus chères, contribuant ainsi à un déficit commercial persistant. Bien que les coûts et les bénéfices fassent encore l’objet de discussions parmi les experts, il ressort que, d’un point de vue géopolitique, les avantages tendent à prédominer sur les inconvénients.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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