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Au Maroc, le combat pour les droits des mères célibataires continue

Par Fatima EL OUAFI | Edition N°:6469 Le 08/03/2023 | Partager

Depuis 38 ans, Solidarité féminine accueille et accompagne les mères ayant conçu un enfant hors mariage. Mises au ban de la société, elles sont considérées hors-la-loi au regard de l’article 490 du Code pénal marocain.

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Pour faciliter la réinsertion des mères célibataires, des formations sont proposées notamment dans les métiers de la restauration et de la pâtisserie.  L’ouverture de deux restaurants contribue à assurer leur indépendance financière ainsi que celle de l’association   (Ph. Fadwa Alnasser)

Aïcha Ech-Chenna, disparue le 25 septembre 2022, peut reposer en paix: les mères célibataires pour lesquelles elle s’est battue jusqu’à son dernier souffle trouveront toujours écoute et soutien à l’Association Solidarité féminine (ASF). Figure de la lutte pour les droits des femmes au Maroc, Aïcha Ech-Chenna avait fondé l’association en 1985. À ces femmes pointées du doigt, l’association offre la possibilité de se reconstruire et de comprendre qu’elles ont le droit de vivre, avec leur enfant, dans la dignité et le respect.

«Comment une fille qui tombe enceinte suite à un viol ou à un inceste peut-elle être coupable?», demande Naïma Ame, présidente d’ASF. Solidarité féminine, ainsi que d’autres associations marocaines fondées plus récemment comme l’Institut national de solidarité avec les femmes en détresse (INSAF), ne cesse de dénoncer cette injustice. L’'article 490 du Code pénal marocain contre lequel se battent ces associations punit «d'emprisonnement d'un mois à un an toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles».  L’avortement étant également interdit, elles sont bien souvent contraintes de mener leur grossesse à terme, d’accoucher dans la clandestinité et d’abandonner leur enfant. 

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Pour prévenir ce drame, Solidarité féminine a multiplié les campagnes de sensibilisation auprès des médias et des pouvoirs publics, au risque d’être accusée d’encourager la prostitution et les relations sexuelles hors mariage.  Mais le plaidoyer de l’association a été entendu et elle a été reconnue d’utilité publique par décret en 2002. Ayant démarré son activité dans le sous-sol d’une association de défense des droits de la femme, l’ONG est aujourd’hui installée dans une bâtisse de trois niveaux, dans le quartier résidentiel de Palmier, au centre de Casablanca.

Tous les jours de l’année, l’association ouvre ses portes aux mères désespérées. L’équipe de Solidarité féminine les met en confiance et leur propose un projet de vie digne. En plus d’un accompagnement psycho-social et d’une assistance juridique, elle offre des formations professionnelles et des emplois. Des programmes d’alphabétisation et de comptabilité sont également mis en place pour renforcer l’autonomisation de ces femmes. Et pendant qu’elles sont formées, leurs enfants sont accueillis dans une crèche du quartier avec laquelle Solidarité féminine a conclu une convention.

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«C’est notre devoir de ne pas laisser tomber les mères célibataires et leurs enfants, personnes les plus vulnérables de la société marocaine», souligne Naïma Ame, présidente de l’Association Solidarité féminine (Ph. Fadwa Alnasser)

«J’ai eu de la chance de trouver Solidarité féminine», raconte Siham (le prénom a été changé). «J’ai été bernée par un homme qui m’avait promis le mariage. Quand il a su que j’étais enceinte, il a disparu dans la nature. Ma famille, considérant que je les avais déshonorés, m’a jetée à la rue. Une amie m’a donné l’adresse de l’association. J’ai pu bénéficier d’un suivi durant ma grossesse et pu accoucher dans de bonnes conditions. J'ai également pu suivre un programme de formation.» Cinq ans après avoir contacté ASF, Siham subvient à ses besoins et à ceux de son fils grâce à son emploi dans une entreprise de restauration.  

Selon Solidarité féminine, si des progrès ont été réalisés, il reste beaucoup à faire, notamment pour que les enfants élevés par des mères célibataires ne soient plus victimes de discrimination juridique et sociale. «En raison des modifications apportées au Code de la famille en 2004, la mère n’a plus droit au livret de famille car ce dernier est délivré uniquement dans le cadre du mariage», précise Naïma Ame.

En effet, la procédure actuelle permet seulement d’inscrire l’enfant sur le registre d’état civil, sous le nom de sa mère ou d’un autre patronyme choisi dans une liste fournie par l’administration mais sans filiation paternelle.

L’établissement de la filiation paternelle étant quasiment impossible, les enfants naturels n’ont pas de véritable statut. Et pour ajouter à cette injustice, ils seront, à cause de l’absence de la mention de la filiation, exclus des concours pour accéder à la fonction publique, ou par exemple la gendarmerie. «Ils sont destinés à être des citoyens de second rang», déplore Naïma Ame.

                                                                   

Gérée comme une entreprise

L’association compte 32 salariés et une dizaine de bénévoles qui supervisent les activités. Celle-ci est gérée comme une entreprise, avec un comité de direction, ce qui a permis à Solidarité féminine de se développer et d’assurer sa pérennité.  L’indépendance financière a d’ailleurs toujours été le maître-mot dans l’esprit des membres de l’association. «Aujourd’hui, les donateurs sont là mais demain?», disait toujours Aïcha Ech-Chenna.   Les caisses de l’association sont alimentées par l’argent rapporté par les différents prix décrochés par Solidarité féminine, les dons versés par des bailleurs de fonds privés et publics et surtout par les revenus tirés d’activités développées par l’ONG. Ainsi deux restaurants, un hammam, une salle de sport, un salon de coiffure et des kiosques sont gérés avec succès par les mères célibataires. « Ces activités nous permettent de former les mères célibataires aux métiers de la cuisine, la pâtisserie, la coiffure, l’esthétique, la couture etc. afin de faciliter leur réinsertion sociale. Et notre association peut être autonome financièrement», ajoute Naïma Ame.

Par Fatima El OUAFI