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Les réglementations commerciales, un levier de croissance durable dans le Sud

Par Emilia Lamonaca - Fabio Gaetano Santeramo - - | Edition N°:6317 Le 03/08/2022
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Emilia Lamonaca, AXA Research Fellow, Université de Foggia

Fabio Gaetano Santeramo, professeur associé, Université de Foggia  

Ces dernières décennies, l’essor du commerce international a apporté la diversité alimentaire dans nos cuisines mais aussi un risque accru de transport d’agents pathogènes. Le commerce illégal d’animaux vivants, qui représente­rait entre 8 à 10 milliards de dollars par an, exacerbe encore plus cette menace.

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En parallèle, le changement cli­matique, à l’origine de vagues de chaleur, d’inondations ou d’oura­gans, met les cultures à l’épreuve. La hausse des températures offre en effet des conditions idéales pour la reproduction des parasites qui s’at­taquent aux plantes et au bétail. Par exemple, les invasions de criquets pèlerins qui ont notamment touché l’est de l’Afrique en 2020 et 2021 trouvent leur origine dans des pré­cipitations inhabituellement élevées et des inondations dans des zones précédemment épargnées par le parasite.

40% de la production agricole perdue

L’an dernier aux États-Unis, les propriétaires et les agriculteurs du Nord-Est, du Midwest, du Sud et du Sud-Ouest ont également assisté avec horreur à une invasion sans précédent de Spodoptera frugiperda, ou légion­naires d’automne. Ces chenilles ont dévasté les champs de riz, de soja, de luzerne et d’autres cultures. Les Na­tions unies estiment qu’environ 40% de la production agricole mondiale est actuellement perdue à cause des parasites, tandis que les maladies des plantes coûtent à l’économie mondiale plus de 220 milliards de dollars par an. Or, nous ne sommes pas égaux face à ce problème. Les pays riches comme les États-Unis, le Canada, le Japon et une grande partie de l’Europe occiden­tale, qui portent une grande responsa­bilité dans le changement climatique car ils ont émis 50% de tous les gaz à effet de serre depuis la révolution in­dustrielle, ont développé de meilleures stratégies pour limiter la propagation d’agents pathogènes. Par exemple, en améliorant la production, avec la sélec­tion génétique de variétés résistantes, ou en contrôlant le transport trans­frontalier à l’aide de réglementations commerciales, de normes et d’accords internationaux.

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L’ambassadeur américain Michael Froman signe l’accord de coopération entre la Communauté d’Afrique de l’Est et les États-Unis sur la facilitation des échanges, les mesures sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce, aux côtés de représentants de la Communauté d’Afrique de l’Est à Washington, en 2015 (Ph. AFP)

Plus de qualité et de croissance

Parmi ceux-ci, l’accord de l’Or­ganisation mondiale du commerce (OMC) sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), négocié lors du cycle d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et entré en vigueur en 1995, réglemente au­jourd’hui le commerce des produits vulnérables aux parasites et aux agents pathogènes.

Leur objectif est de protéger la vie ou la santé humaine, animale ou végétale grâce à des normes de sécurité. Le texte définit les règles de base que les gouvernements sont tenus de suivre pour fournir des ali­ments sûrs aux consommateurs tout en évitant toute forme de protec­tionnisme des producteurs natio­naux.

Les pays du Sud représentant la majeure partie de la production agricole brute (par exemple, la va­leur ajoutée de l’agriculture repré­sentait 17,2% du produit intérieur brut de l’Afrique subsaharienne en 2021), nous avons cherché à me­surer l’impact de ces réglementa­tions sur les économies nationales et le commerce mondial. Notre recherche apporte des nouvelles largement positives: les pays qui avaient les moyens de se conformer à ces nouvelles normes de sécurité ont bénéficié d’une croissance éco­nomique accrue et d’aliments plus sûrs.

Le renforcement des normes de sécurité a en effet permis d’amélio­rer les technologies et les pratiques de production, notamment en rem­plaçant les engrais chimiques par des engrais organiques, avec des effets positifs en termes de qualité des aliments. Les normes de sécu­rité ont également contribué à la création et à l’expansion des routes commerciales bénéfiques aux pays du Sud. Le commerce agricole entre le Nord et le Sud tend ainsi à aug­menter de 30% lorsque ces normes s’appliquent.

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Les pays du Sud représentant la majeure partie de la production agricole brute. Par exemple, la valeur ajoutée de l’agriculture représentait 17,2% du produit intérieur brut de l’Afrique subsaharienne en 2021 (Ph. AFP)

Renforcer la coopération

Nous avons observé que ces effets positifs se renforcent si les acteurs économiques coopèrent non seulement de manière formelle (par exemple, en employant un groupe d’experts traitant des questions de sécurité) mais aussi de manière subs­tantielle (par exemple, en fixant des règles techniques pour coopérer sur les questions de sécurité).

Contrairement à ce que prétend le mouvement de la décroissance, nos recherches montrent donc que les réglementations peuvent rendre possible une croissance durable. Des évaluations minutieuses de l’impact environnemental des accords com­merciaux démontrent d’ailleurs que les accords entravent les plus gros pollueurs et contribuent au contraire à une croissance durable.

L’harmonisation des normes appa­raît également essentielle pour instau­rer un environnement coopératif car les accords commerciaux réduisent les frictions dans le commerce et le temps nécessaire pour résoudre les différends. En bref, ils favorisent à la fois la coopération et la croissance.

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Des criquets pèlerins se nourrissent de maïs dans un champ à Meru, dans le centre du Kenya (Ph .AFP)

                                                                   

Une croissance durable est-elle possible?

Aujourd’hui, plusieurs institutions internationales, comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), soulignent la nécessité d’agir et encouragent les politiques commerciales plus favorables au climat. L’OMC s’accorde également avec le Fonds monétaire interna­tional (FMI), l’Organisation de coopération et de développement écono­miques (OCDE) et la Banque mondiale (BM) sur la nécessité de renforcer la coopération internationale en tant que stratégie principale pour faire face aux problèmes du changement climatique. Néanmoins, les relations internationales tendent à évoluer à l’inverse vers une fragmentation de l’espace mondial… Si l’impact conjoint du changement climatique et du commerce international favorise l’émergence et la propagation d’agents pathogènes, les efforts visant à les surveiller et à contrôler leur trans­port transfrontalier deviendront essentiels pour relever les défis de la sécurité alimentaire mondiale. Les politiques commerciales pourraient alors constituer une stratégie efficace mais leur harmonisation reste à ce jour essentielle, en particulier avec des économies caractérisées par une réactivité hétérogène aux impacts du changement climatique et par des capacités différentes à modifier les termes de l’échange.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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