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En Italie, les migrantes climatiques luttent pour l’égalité des chances

Par Elena COMELLI | Edition N°:6036 Le 21/06/2021 | Partager
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Les experts estiment que les femmes sont touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Elles sont doublement touchées car elles assument les tâches  les plus humbles et les moins bien rémunérées (Ph. GeorgeNickels/ArchivioWeWorld)

Sunita* a quitté l'État indien du Punjab pour venir s’installer en Italie. Elle est partie de chez elle après avoir perdu ses terres à cause du changement climatique et travaille aujourd’hui comme ouvrière agricole dans la région italienne de l’Agro Pontino, au sud de Rome. Elle travaille la moitié de l’année avec un contrat régulier, puis deux mois au noir, afin d’envoyer de l’argent au pays et rembourser sa dette de voyage. Elle passe le reste du temps avec son jeune fils, mais, dit-elle: «la vie est difficile pour une mère célibataire avec un enfant en bas âge et sans mari, dans un pays étranger… Les gens voient une femme seule et la prennent pour une fille ‘facile’».

Sunita fait partie des nombreux travailleurs immigrés qui sont exploités chaque jour par un impitoyable réseau de travail illégal. Et comme c’est une femme, et une mère, tout est plus dur. Sunita ne le sait pas, mais les experts estiment que les femmes sont touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Elles sont doublement touchées car elles assument les tâches  les plus humbles et les moins bien rémunérées, comme aller chercher de l'eau dans des conditions de sécheresse extrêmes. Les femmes sont aussi celles qui généralement restent à la maison pour s'occuper des enfants et des personnes âgées, tandis que les hommes vont chercher du travail là où les conditions climatiques peuvent être meilleures. Et si elles parviennent à trouver un emploi à l’étranger, elles sont généralement les premières à se retrouver piégées par des trafiquants d’êtres humains, ou poussées à se prostituer dans les rues de villes européennes.

«Les histoires des femmes que nous rencontrons, et qui travaillent dur dans les fermes du sud de l'Italie, s'inscrivent dans un système économique patriarcal fermement ancré dans leur pays d'origine et, souvent maintenu une fois qu'elles ont atteint leur destination finale», explique  Elena Caneva, directrice du centre de recherche l'ONG WeWorld. «De retour dans leur pays, ces femmes sont obligées de parcourir de nombreux kilomètres à pied chaque jour, en portant un poids considérable sur leurs épaules, afin de trouver les moyens de subvenir à leurs besoins, surtout après de grandes inondations ou une sécheresse. Elles ne peuvent donc pas aller à l'école. Elles font constamment l’objet d’attaques et de discriminations», explique-t-elle.

«75% en moyenne des tâches domestiques
non rémunérées sont assurées par les femmes,
et ces dernières y consacrent beaucoup plus de temps
que les hommes dans toutes les régions du monde»

Lorsqu’elles quittent leur village pour trouver du travail ailleurs, leurs conditions ne s’améliorent pas davantage. Alors que l’égalité formelle entre les hommes et les femmes est établie dans de nombreux pays et systèmes juridiques, les distinctions ancestrales entre les tâches productives et reproductives prévalent toujours, même en Occident. En théorie, ces femmes sont fortement encouragées à rejoindre le marché du travail, mais en même temps, on attend d’elles qu’elles portent tout le poids des tâches domestiques et de la garde des enfants. «75% en moyenne des tâches domestiques non rémunérées sont assurées par les femmes, et ces dernières y consacrent beaucoup plus de temps que les hommes dans toutes les régions du monde», pointe Caneva.

De son côté, Sunita n’a pas choisi sa destination. C’est sa famille qui l’a envoyée en Italie et, maintenant, elle fait face aux mêmes conditions difficiles que tant de femmes italiennes qui travaillent et qui ont des enfants à charge. Elle doit aussi faire face aux difficultés  liées au fait d'être une immigrée dans un environnement très dur, où le travail illégal, l’exploitation et les violences de genre sont monnaie courante ce qui ne fait qu’accentuer les inégalités dont elle fait l’objet depuis le début.

Mais toutes les migrations illégales ne conduisent pas à l’exploitation. Dans de nombreux cas, les femmes migrantes peuvent devenir des actrices clés dans un monde en mutation, à condition qu’on leur offre les bonnes opportunités pour qu’elles puissent atteindre leurs objectifs. L’Index 2020 WeWorld – qui compare et classe les niveaux de vie des femmes et des enfants dans 172 pays à travers le monde, en fonction de  leur degré d’inclusion – insiste sur la nécessité de passer de la simple reconnaissance des droits des femmes à leur mise en oeuvre, à travers le développement de leurs capacités individuelles.

Creuser les inégalités

L'histoire de Sunita montre que la crise climatique ne fait que creuser les inégalités de genre que subissent déjà les femmes. C’est l’un des messages clés portés par la campagne de sensibilisation lancée par de jeunes Européens sur la pauvreté climatique, #ClimateOfChange, sous la houlette de WeWorld. Depuis 50 ans, cette ONG se bat pour défendre les droits des femmes et des enfants dans 27 pays du monde. Également très active en Italie, l’ONG soutient les ouvriers agricoles d'Agro Pontino, où travaille Sunita.
Une tournée paneuropéenne #ClimateOfChange s'arrêtera à Milan les 1er et 2 octobre, à l'occasion de la Pre-Cop26 - un événement organisé à Milan en amont de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) - et proposera, dans les rues de la ville, un spectacle de cirque contemporain visant à mettre en lumière les liens entre changement climatique et migration.

(* Le prénom a été changé pour protéger l'identité de la jeune femme)
Elena Comelli,
Corriere della Sera (Italie)

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Cet article est publié dans le cadre de «Towards Equality», une opération de journalisme collaboratif rassemblant 15 médias d’information du monde entier mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des genres.