
Un phénomène rare vient de frapper l’Algérie: la disparition physique de sa monnaie, le dinar. Il ne s’agit pas d’une thésaurisation, puisque la valeur de cette monnaie tombe rapidement et qu’il n’y a pas (pas encore?) de monnaie de secours en circulation.
Le phénomène a commencé à très bas bruit au printemps. Il a commencé par la Poste nationale, qui en manque de liquidité, a rationné ses clients en commençant par les petites entreprises. En clair, lorsqu’un petit patron voulait de l’argent pour sa caisse, la Poste ne lui en donnait que la moitié et puis rien du tout à la fin de la journée.
Le phénomène a progressé assez lentement. On ne sait pas pourquoi. Les rares fois dans le monde où s’est produite une raréfaction des liquidités, le problème s’est propagé très rapidement, en quelques jours, moins d’une semaine, confinant à la panique.
Finalement c’est en cette semaine de l’Aïd, dernière semaine de juillet 2020, que les attroupements de clients déboutés sont apparus devant les banques. Des clients en colère, persuadés que le gouvernement, ou «le système», ou les oligarques… ont volé leur argent déposé dans la banque. Parce que la banque refuse de leur restituer leur argent.
Il ne faut pas s’étonner de cette vue très simpliste du système bancaire, même chez des personnes éduquées (voir encadré sur les banques).
Aucune mesure n’a anticipé la disparition de la liquidité. Non seulement aucune mesure n’a été prise mais les directives du président Tebboune et de son ministre des finances sont très claires: pas de recours à l’emprunt. Cela constitue une question de «dignité nationale». Autrement dit, c’est un tabou politique infranchissable. Pourtant depuis 2014, Alger a perdu 95% de ses recettes en devises. Et inévitablement une grande partie de sa monnaie locale.
Inversement, avant même d’organiser son plan anti-virus, le Maroc a filé à toute vitesse vers les sources de financements pour tirer le maximum possible, en fonction de l’endettement déjà existant. Le Maroc pouvait ainsi tenir deux chocs, le déficit de la balance des paiements et celui du budget. Et par cascades, le fonctionnement du système de paiement interne, avec les cartes, les chèques et les billets.
Ce n’est pas du tout le mode de gestion financière en Algérie. Encore une fois sans vouloir être désobligeant, peu d’Algériens sont au fait des phénomènes monétaires et bancaires, voire budgétaires, parce qu’il y a très peu de complexité.
Le cours officiel du dinar baisse drastiquement, et ce par volonté politique. Il fallait 14 dinars pour faire un dirham à la fin juin 2020. Il en faut 15 cette semaine, commissions comprises.
Le gouvernement Tebboune veut cette baisse, comptant qu’une monnaie faible dressera des barrières infranchissables aux importations (infranchissables pour la majorité des consommateurs). Ipso facto, des investissements apparaîtront pour fournir le marché national avec des produits «made in Algeria». Malheureusement, rien ne va aussi vite, aussi facilement (voir encadré).
Il est vrai que le Maroc a appliqué cette substitution aux importations dans les années 1970, avec des succès rares et des problèmes lourds, redressés avec vingt ans d’efforts.
La réapparition de la monnaie est plus urgente. Comment réalimenter les marchés, les familles et les commerçants, sans créer d’autres désordres?

Des banques si différentes
D’abord le système bancaire algérien non seulement est très en retard sur ce que connaissent les Marocains, mais, depuis l’indépendance, les choix politiques, ou les choix du «Système», sont imposés aux banques. Rentable ou pas, si le gouvernement ordonne, le financement doit être fait. Il ne s’en prive pas car c’est un outil de la politique pour lui-même. L’ensemble est donc fragile, empli d’on ne sait combien de créances douteuses. Par comparaison, lorsque Rabat a voulu ouvrir les robinets pour lutter contre le virus (et uniquement dans ce cadre-là), ce n’est pas le gouvernement qui a choisi les bénéficiaires de crédit, mais les banques. Elles seules pouvaient apprécier le risque qu’elles allaient courir et faire courir à l’argent de leurs déposants. La Banque centrale a desserré trois des conditions monétaires, et saisi son bâton pour décourager les imprudentes. Rien à voir avec le contexte bancaire algérien. Sans vouloir être désobligeant, les banques algériennes, par rapport aux marocaines, sont aussi sophistiquées que les finances d’un épicier de campagne.
Quand l’industrie colonise le pouvoir politique
Cette politique de substitution aux importations n’est pas un remède anodin. Elle fabrique des industries rentières et des industriels oligarques, incapables de souplesse et d’agilité face aux marchés. Ce n’est pas tout. Il y a un versant très politique à l’affaire, différent entre le Maroc et l’Algérie.
La légitimité de la monarchie marocaine (et aussi la qualité des Rois), l’a mise à l’abri des marchandages avec ces classes industrielles protégées. Dans une république, surtout une république qui doit s’efforcer de construire sa nation autour d’elle, la substitution aux importations est périlleuse. Les liens du gouvernement avec le monde industriel et commerçant peuvent rapidement devenir ambigus.
Régulièrement, le pouvoir politique doit se débarrasser des partisans qu’il s’est créé. Ayant vécu des largesses du politique, elles-mêmes gérées par autorisations (et non pas par une loi applicable indifféremment à tout le monde), ces partisans finissent par coloniser le pouvoir. Ils y construisent des dogmes de politique économique, plus liés à leurs intérêts qu’à la réalité. Mais ayant la puissance d’un tabou.
Parmi ces partisans, figurent/figuraient les «nouveaux oligarques», aujourd’hui en prison ou en fuite. Ils ont exercé particulièrement dans le montage automobile, et aussi dans le transport scolaire et dans les travaux publics. On les trouve peu dans l’agro-alimentaire qui était pourtant une valeur sûre de l’Algérie indépendante. Et encore moins dans les manufactures qui ont fait le bonheur du Maroc, sans pour autant parvenir à coloniser le pouvoir politique.
Avec la disparition de la monnaie algérienne et le peu de compétences financières disponibles, le programme de libéralisation économique présenté la semaine dernière, risque d’échouer avant de commencer.
Nadia SALAH
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