C’est l’une des rares lois-sinon la première- dont la période d’application est limitée dans le temps. La loi n° 27-20 sur la SA, autorisant notamment la tenue des réunions des organes de gouvernance et des assemblées générales par visioconférence pendant la période de l’état d’urgence sanitaire a enfin été publiée au Bulletin officiel n° 6887 du 1er juin 2020.

Le retard pris dans cette publication avait même poussé certains opérateurs économiques à penser que le texte allait passer à la trappe. C’est maintenant chose faite. Sauf que les articles 1 et 3 de la loi précisent clairement que les conseils d’administration et assemblées des sociétés anonymes ne pourront se tenir par visioconférence ou autres moyens équivalents que pendant l’état d’urgence sanitaire. Or, théoriquement, ce dernier sera abrogé le 10 juin. Il se sera donc écoulé 10 jours entre la date de publication de la loi et la fin de l’état d’urgence sanitaire. Trop court pour lancer les convocations aux actionnaires conformément aux délais légaux.
En effet, pour une société anonyme, il faut observer un délai minimum de 15 jours avant d’organiser une assemblée générale. Dans le cas d’une société faisant appel public à l’épargne, ce délai est de 30 jours. Ainsi, dans le premier exemple, sachant que la loi a été publiée au Bulletin officiel le 1er juin, il faut envoyer les convocations aux actionnaires au plus tard, le 15 juin en perspective d’une assemblée au plus tard le 30 juin. Une date qui déborde sur la levée de l’état d’urgence, officiellement prévue le 10 juin.
Dans le cas des sociétés faisant appel public à l’épargne (sociétés cotées), il faut compter 30 jours entre la convocation des actionnaires et la tenue de l’assemblée. Ce qui renvoie au 1er juillet en supposant que les convocations ont été adressées dès le début du mois de juin. Dans beaucoup de cas, cette catégorie de sociétés ont prévu dans leurs statuts la possibilité d’utiliser les moyens technologiques pour leurs réunions (en dehors des exceptions prévues par les articles 63, 67bis, 67ter et 72 de la loi 17-95 sur les S.A afférents en particulier à l’arrêté et l’approbation des comptes). Elles avaient donc besoin d’attendre la promulgation d’une loi qui institue une dérogation en matière d’utilisation de la visioconférence pour acter les décisions d’arrêté et approbation des comptes de l’exercice clos le 31/12/2019.
La publication tardive de la loi 27-20 met les sociétés anonymes devant deux scénarios. Si l’état d’urgence est levé comme prévu le 10 juin, cette loi n’aura plus aucun intérêt. En effet, à partir de cette date, les conseils d’administration et les assemblées pourraient se tenir selon la procédure classique avec présence physique, sous réserve de la possibilité pour les personnes de se rendre sur les lieux prévus pour les réunions. Mais le problème qui risque de se poser concerne en effet la mobilité des actionnaires et administrateurs dont bon nombre sont bloqués à l’étranger et ne pourront pas venir au Maroc tant que les connexions aériennes internationales n’auront pas été rétablies. Le problème de la mobilité étant récurrent même en temps normal.
Le deuxième scénario qu’il faudrait envisager serait celui d’une prorogation de l’état d’urgence au-delà du 10 juin. Le déconfinement ne signifiant pas forcément l’abrogation du couvre-feu sanitaire et le libre déplacement des personnes. Dans ce cas, la loi conserverait tout son intérêt.
Les zones d’ombre induites par la loi mettent les parties concernées dans le désarroi. Faut-il envoyer une convocation aux actionnaires avec l’idée de tenir une assemblée générale ou un conseil d’administration par visioconférence? Doit-on convoquer une réunion en envisageant à la fois la levée et la prorogation de l’état d’urgence? Dans ce cas précis, il n’est pas possible d’envisager les deux cas de figure.
Sur un autre registre, l’échéance du 30 juin pour tenir une assemblée générale ne fait pas l’unanimité. Pour beaucoup de conseils, c’est une échéance légale qui devrait être reportée conformément à l’article 6 de la loi instituant l’état d’urgence qui a suspendu tous les délais prévus par la législation et la réglementation en vigueur pendant l’état d’urgence sanitaire (art 6 du décret-loi n° 2-20-292 du 23/03/2020).
Une chose est sûre: l’imbroglio juridique ne manquera pas de générer de nombreux litiges entre actionnaires et dirigeants qui iront alimenter les tribunaux.
Une disposition à pérenniser
Pour la commission études fiscales et juridiques du conseil régional de Casablanca de l’OEC, «la loi instituant la possibilité d’utiliser la vidéoconférence pour l’arrêté et l’approbation des comptes devrait être pérennisée au-delà de la période de l’état d’urgence». Pour l’heure, ce n’est pas possible. Il faudra amender la loi sur la S.A parce que, même en temps normal, «il est souvent difficile, voire impossible, de tenir des conseils d’administration et assemblées générales en raison de l’absence physique de certains administrateurs et actionnaires, parfois dispersés aux quatre coins du monde». Une doléance qui devrait être prise en compte par le législateur.
Hassan EL ARIF
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