
Avec le retour de l’Etat en force dans la lutte contre la pandémie, les craintes sur d’éventuelles reculades en matière d’acquis de liberté commencent à se faire sentir chez certains activistes des droits de l’homme. Sur ce domaine, Amina Bouayach a été catégorique.
Pour la présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), le renforcement du secteur public a résulté de la gestion de la pandémie Covid-19. Après la régulation dans la gouvernance économique, sociale et politique, l’Etat-providence a commencé à gagner du terrain. Celui-ci, selon elle, revient en force en raison de la gestion de cette pandémie qui ne peut être menée par le secteur privé ou d’autres instances.
Cette sortie de la présidente du Conseil intervient dans le cadre d’un débat par visioconférence, organisé par la Fondation Lafqui Titouani, très active dans l’initiation de réflexions sur les sujets de l’heure. Amina Bouayach a été invitée dans le cadre du 30e anniversaire de la création de l’instance en charge de la promotion des droits de l’homme, une célébration occultée par l’état d’urgence sanitaire.
En tout cas, dans cette lutte au quotidien contre les impacts de la pandémie, il est impératif de disposer d’une convergence des interventions publiques et privées. L’Etat-providence veillera à la cohérence dans les actions des différentes institutions pour la sortie de la crise, qui n’est pas encore très visible mais dont les données disponibles montrent que des secteurs économiques, touristiques et sportifs sont à l’arrêt.
Ainsi, la relance de l’activité économique nécessite l’intervention de l’Etat-providence qui prendra en compte la santé des citoyens. L’ancienne ambassadrice a rappelé que «c’est la première fois que l’être humain est placé au cœur des dispositions prises en matière de sécurité, de santé, de soutien économique et social.
Par conséquent, il le sera au centre de tout ce qui arrivera après le coronavirus», a noté Amina Bouayach. Pour elle, la stratégie de développement devra prendre en compte deux choses essentielles. D’abord, les catégories fragiles et les disparités sociales et spatiales. Ensuite, estime-t-elle, il est temps de se pencher sur la pauvreté autrement que donner des aides aux couches les plus faibles.
■ Le monde digital, un acteur qui influence la politique

Dans cette logique de l’Etat-providence, assisterons-nous à une limitation des libertés et des droits de l’Homme? s’interroge la présidente du CNDH. «Non, je pense que l’expérience marocaine avec le projet 22.20 sur les réseaux sociaux a montré qu’il n’était plus possible de limiter les libertés. Aujourd’hui, l’espace des libertés est investi par le monde digital. C’est un nouvel acteur qui influence la politique et l’intérêt général», répond-elle. Amina Bouayach est convaincue que cet acteur civil et numérique sera très présent dans la défense des libertés. Elle pense que «le choix actuellement dans le domaine des droits de l’Homme et des libertés ne peut connaître de recul. Il n’est plus possible de faire marche arrière sur les acquis accumulés au cours de tant d’années. C’est pour cette raison que le Conseil a mis en place une plateforme «Expressions numériques», sachant que l’acteur digital sera le principal défenseur de ce champ des libertés.
■ Si pas de consultation du Parlement, l’auto-saisine activée
L’exécutif n’a pas jugé utile de consulter ni le Conseil ni d’autres instances. «Si le Parlement ne le saisit pas, le CNDH aura recours à l’auto-saisine pour faire entendre la voix d’une instance nationale et constitutionnelle qui s’occupe des droits de l’Homme, dans un sujet au cœur des libertés», indique-t-elle.
■ L’avis sur le projet de loi 22.20 sur les réseaux sociaux

Pour Amina Bouayach, «le texte devait consacrer l’Etat comme le défenseur des libertés et des droits d’expression et d’opinion. C’est cette logique qui doit encadrer une législation sur les réseaux sociaux». Car la gestion des droits de l’Homme, anciens ou nouveaux, obéit à une même logique: pas de réductions de la marge des libertés. D’ailleurs, ce projet de loi n’a pas été abordé de manière institutionnelle. L’exécutif a fait preuve de confusions dans sa relation avec l’instance des droits de l’Homme. Elle reconnaît qu’elle ignore «les raisons politiques ou tactiques, mais les attributions du Conseil seront activées quelle que soit la position du gouvernement». En fait, dans cette affaire, le CNDH comme d’autres instances, a été ignoré.
■ Fake news en progression

La présidente a également abordé le phénomène des vidéos et des fausses informations qui s’est développé au cours de ces derniers temps. En tout cas, 60% des auteurs de fake news sont poursuivis en justice. Sur la partie des évènements d’Al Hoceïma, le rapport du CNDH a analysé 10.000 documents dont les vidéos et autres communiqués en circulation. Il est arrivé à la conclusion que 80% de ces produits provenaient de l’étranger. Les Marocains ne produisent que 20% des fake news qui circulent sur la toile.
■ Le CNDH n’a pas été consulté sur les mesures prises
Amina Bouayach reconnaît que pour les décisions prises au cours de l’état d’urgence sanitaire, les pouvoirs publics n’ont pas consulté le CNDH. Dans ce dossier, c’est la Commission nationale des données personnelles qui a été appelée à la rescousse. Mais, estime la présidente du CNDH, cela ne concerne pas uniquement les données personnelles. Actuellement, son instance délibère sur la question.
■ Le traçage numérique

Pour la présidente, il s’agit principalement d’un sujet des droits de l’Homme. Plusieurs aspects n’ont pas été mentionnés dans le programme lancé. A ce niveau, le CNDH va annoncer son avis et présenter la manière de suivre sa mise en œuvre. Pour Amina Bouayach, certes, ce programme procède du volontariat, puisque c’est la personne qui choisit cette application. Mais le problème qui se pose est de savoir si la personne qui adhère, maîtrise les conséquences technologiques de cette application. Quid du traçage dans la vie personnelle. Les citoyens ayant choisi cette application auront-ils une priorité dans le suivi sanitaire? Après le déconfinement, va-t-on annoncer la fin de l’état d’urgence sanitaire ou va-t-il durer? Autant de questions qui sont à l’ordre du jour du CNDH.
Rapport passé sous silence
La publication du rapport annuel du CNDH intervient cette année dans un contexte particulier, marqué par l’instauration de l’état d’urgence sanitaire. Par conséquent, ce document de 82 pages, qui n’a pas fait l’objet de débats comme à l’accoutumée, fait le point sur l’effectivité des droits humains en 2019. Pour la présidente, l’élargissement du champ des libertés, particulièrement la liberté d’expression, reste encore l’un des plus grands défis à relever. Ce rapport revient sur les principaux aspects liés à la protection des droits et libertés, dans les espaces publics, dans les établissements pénitentiaires, mais également dans les interactions entre les citoyens et l’administration.
Mohamed CHAOUI
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