
- L’Economiste: Le Maroc a décrété l’état d’urgence sanitaire pour freiner la propagation de l’épidémie, mais aussi pour maitriser les dépenses. Ce qui a engendré le retour en force de l’Etat central au niveau des régions. Est-ce une bonne décision pour la gestion financière des collectivités territoriales?
- Khalid Maaroufi: Face à la pandémie du coronavirus, les décisions les plus importantes ont été prises par l’Etat. Un retour en force de l’Etat central considéré comme unique détenteur de la solution et une puissance en mesure de résoudre tous les problèmes rencontrés. Cela rappelle un peu ce qui s’est passé après la crise de 1929, pendant les «trente glorieuses». Une réussite dans l’histoire des Etats-Unis qui a permis à ce pays de sortir plus fort de sa crise économique. L’Histoire se répète car, face aux crises, l’intervention de l’état central est souhaitée à plus d’un titre. Rappelons aussi que la décentralisation assortie d’une autonomie financière de collectivités territoriales et la libre administration étaient préconisées comme une réponse à la crise économique. Également à celle des finances publiques. La décentralisation a pour vocation d’alléger les finances de l’Etat en le désengageant de certaines fonctions, efficacement réalisées au niveau local en vertu du principe de subsidiarité.
- Dans la gestion de l’épidémie, des collectivités locales qui n’ont pas pu ou su défendre leurs acquis constitutionnels et s’impliquer dans la gestion réelle de leurs territoires. Qu’en est-il vraiment?
- Les collectivités territoriales sont restées à la marge des grands efforts déployés par l’Etat, pas par faute de volonté des décideurs locaux mais surtout par manque de moyens financiers de plus en plus ténus face à l’accroissement des contraintes budgétaires et d’une faible autonomie financière. Situation qui a contribué à vider tout l’arsenal juridique et les attributions octroyées aux communes par des lois organiques. L’exercice de la libre administration suppose des attributions effectives et une libre gestion qui exclut les atteintes ou empiètement de l’Etat ou des collectivités territoriales sur une autre collectivité. Certes, il y a eu des contributions en matière de désinfection des villes et localités, ce qui a impacté positivement sur la qualité de vie avec réduction des risques de contamination. Mais est-ce uniquement le rôle des collectivités territoriales? Depuis 2015, plusieurs lois réglementaires leur ont octroyé des attributions d’une très grande importance. Elles doivent les défendre dans l’intérêt de la démocratie participative.
- La majorité des communes n’a encaissé aucun dirham durant l’état d’urgence sanitaire. Seront-elles en mesure d’honorer leurs engagements après le déconfinement?
- Les collectivités territoriales ne disposent plus de marges de manoeuvre pour assumer les services publics attendus légitimement par leur population. D’où la nécessité d’une remise à plat des finances locales. Face à l’accroissement des attentes, les ressources doivent être adaptées aux défis auxquels doivent répondre les collectivités territoriales. Ce qui nous amène à lancer dans le circuit législatif, le projet de loi portant sur la réforme fiscale, annoncé par le ministre de l’Intérieur et repoussé aux calendes grecques! Les budgets communaux vont subir un coup très dur cette année à cause des mesures de confinement prises en application du décret-loi n° 2.20.292 du 24 mars 2020 portant promulgation de dispositions relatives à «l’état d’urgence sanitaire».
- Que préconisez-vous en tant que spécialiste de la gestion financière locale pour propulser la gestion financière locale sur la bonne voie?
- Plus de 170 propositions ont été débattues lors des assises nationales sur la fiscalité de Skhirat (3 et 4 mai 2019) mais elles attendent concrétisation. Le système fiscal local est obsolète et ne peut tenir route des changements que connaît la société marocaine et les attributions déléguées par les textes organiques. C’est également une opportunité pour le nouveau modèle de développement pour revoir la fiscalité locale, le système financier et le rôle des collectivités locales en situation de crise. La dématérialisation des finances locales et la numérisation intégrale de l’accès aux services publics des administrations territoriales aurait été une bonne issue pour contrecarrer les effets de la pandémie. Le Maroc a amélioré son classement au plan du «paiement des impôts et taxes» dans l’édition du rapport Doing Business 2018. Il s’est en effet hissé du 41e rang en 2017 au 25e en 2018, sur un total de 190 économies. Afin de maintenir le cap au niveau de cet indicateur, il faut que les communes qui cumulent un retard latent sur ce registre adhèrent à ce choix. Le ministère de l’Intérieur a annoncé le lancement du chantier de généralisation du guichet numérique unique des autorisations d’urbanisme et des autorisations économiques «Rokhas.ma». Un chantier promoteur!
Décret-loi vs loi organique
Le décret-loi 2.20. 292, portant sur les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire dans son article 3 a retiré un ensemble d’attributions propres aux présidents des communes, relatives à la police administrative. Or, le président de la commune dispose d’un ensemble de prérogatives qu’il ne peut assurer à cause de ce décret. Ce qui pose un problème juridique, un décret-loi peut-il remplacer une loi organique? Et comment faire cohabiter ce décret avec la loi organique 113/14 relative aux communes ainsi que la loi organique 111/14 relative aux régions.
Propos recueillis par Ali KHARROUBI
Chère lectrice, cher lecteur,
L'article auquel vous tentez d'accéder est réservé à la communauté des grands lecteurs de L'Economiste. Nous vous invitons à vous connecter à l'aide de vos identifiants pour le consulter.
Si vous n'avez pas encore de compte, vous pouvez souscrire à L'Abonnement afin d'accéder à l'intégralité de notre contenu et de profiter de nombreux autres avantages.