
Alain Bentolila est professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes. Il est auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur la langue française, l’école, la pédagogie, l’illettrisme des jeunes et l’apprentissage de la lecture (Ph. AB)
Le maître est le maître. Il a vécu plus d’expériences, emmagasiné plus de connaissances, acquis (il faut l’espérer) plus de sérénité et de sagesse que ses disciples. Il possède des savoirs et maîtrise des règles que cet expert a la responsabilité de révéler aux élèves dont il a la responsabilité au sein de l’institution scolaire.
Mais au-delà de cette mission éducative nécessaire de révélation des conventions, des lois établies et des connaissances attestées, il en est une autre, complémentaire: celle de compagnon de découverte. Je dis bien de compagnon et non pas celle de guide aveuglément suivi.
C’est-à-dire que l’on devra veiller à susciter et provoquer le questionnement, à encourager la formulation d’hypothèses, à veiller à leur vérification et enfin à «accoucher» les conclusions provisoires auxquelles chaque enfant aura abouti. Et cette mission c’est aussi -et surtout- au sein de la famille qu’elle devrait trouver sa juste place.
Ainsi, c’est au bout d’un long chemin, sur lequel le maître aura été un guide éclairé et les parents des compagnons de route bienveillants et exigeants, que les enfants pourront augmenter l’étendue de leur savoir tout en renforçant leur autonomie de penser. Révélation et élévation sont donc les deux voies complémentaires sur lesquelles doit s’engager l’acte d’éducation.
Malheureusement, et depuis bien trop longtemps, la famille a complaisamment abandonné ses devoirs de transmission, pour les pires et les meilleures raisons. Et ainsi, l’attention portée aux enfants, la volonté de leur transmettre des choses belles et intéressantes, l’écoute qu’on devrait leur offrir et le regard dont on devrait les gratifier, bref, l’affirmation qu’ils comptent pour nous et qu’ils ne sont pas simplement une charge à assumer, tout cela s’est progressivement dilué dans la recherche d’une autonomie trop précoce. Et l’on a fini par prendre à la légère le risque qu’une connexion trop constante leur fait courir.
Au lieu de les abandonner à la grande anesthésie des écrans…
Si, comme moi, vous pensez que le propre de l’homme, c’est le désir de la découverte, cette curiosité de comprendre, cet appétit du questionnement, alors considérez que ce confinement est une chance nouvelle. Car les «pourquoi papa, pourquoi maman?» qu’ils vous ont adressés, trop longtemps en vain, comme un appel à regarder et à questionner ensemble le monde, cet appel vous allez pouvoir enfin y répondre. Enfin vous allez pouvoir prêter attention à l’intelligence de votre enfant au lieu de l’abandonner à la grande anesthésie du numérique et de l’écran.
Ce confinement est aujourd’hui l’occasion de comprendre que l’école ne peut pas ni ne doit pas tout faire. Elle a déjà beaucoup de mal à mener à bien leur instruction. Vous, parents, avez une responsabilité essentielle dans «l’élévation» (et non «élevage») de vos enfants. Il ne s’agit pas de singer le maître d’école et de se contenter de distribuer des exercices disciplinaires répétitifs qui risquent parfois de révéler vos propres approximations. Non! Vous avez bien mieux à faire: nourrir son intelligence et en garantir la fermeté.
Une petite heure par jour, les yeux dans les yeux, votre oreille ouverte à ses propos même maladroits, votre parole explicitement adressée à son intelligence singulière, accompagnez votre enfant avec amour ET ambition vers la maîtrise de la langue et l’exercice ferme de la pensée. Il ne s’agit pas de faire «l’école à la maison», mais de partager des moments privilégiés où, à la fin de chaque activité partagée, vous verrez dans les yeux de votre enfant étinceler l’émerveillement de la découverte.
Ce qui importe n’est pas de lui inculquer règles et modèles, ce qui compte c’est que vous découvriez comment votre enfant avance: ses découvertes, ses maladresses, ses attentes. L’exactitude du résultat important moins que la richesse de l’échange et le questionnement commun.
La plus ancienne pédagogie
Vous inciterez donc votre enfant à apprendre en faisant, c’est-à-dire en réalisant lui-même une expérience suggérée par une question initiale, suivie d’une tentative d’interprétation contrôlée, et ponctuée par une conclusion toujours provisoire. Vous contribuerez alors à élever son intelligence en construisant une relation plutôt horizontale.
A vos côtés, il ira à la rencontre de problèmes proposés par la nature ou rencontrés dans la lecture des textes. C’est ainsi qu’il contemplera, en se posant des questions, le mouvement d’un pendule ou qu’il observera le fonctionnement de la langue et en découvrira les régularités, goûtera avec vous la beauté d’un poème.
C’est probablement là la plus ancienne pédagogie qui soit et l’on peut, sans grand risque, parier que notre lointain ancêtre apprenait la pêche à son fils en l’emmenant à la rivière, plutôt qu’en dessinant devant lui des poissons et des hameçons sur la paroi d’une grotte.
A tous les parents confinés, un site gratuit
Le projet lui tient à coeur: Un site gratuit, à l’intention de tous les parents «confinés», et même aux enseignants, afin de garantir la continuité pédagogique à la maison. «Le site rassemble et organise les activités qui ne nécessitent pas une forte expertise pédagogique. Je suis prêt à l’ouvrir à tous les parents marocains confinés. Leurs retours nous seront précieux», explique Alain Bentolila. Désir d’apprendre (https://desir-apprendre.fodem-descartes.fr) a été conçu par l’université de Paris, en coopération avec plusieurs académies (Lille, Amiens, Lyon, Bordeaux, Paris) et départements français (Seine et Marne et Côtes-d’Armor), en plus de l’Enseignement Catholique. «Si certains parents veulent entrer en liaison avec nous, il y a une touche contact et une équipe à leur disposition», précise Bentolila. Le site propose des outils «à la fois puissants sur le plan cognitif et ludiques en termes d’utilisation», destinés à des élèves de maternelle et de début de collège. L’idée est de développer leurs capacités en lecture, compréhension et mathématiques. Il ne s’agit pas de «jouer à l’école, mais d’accompagner l’enfant avec autant de bienveillance que d’ambition». Une heure par jour suffit. Les activités et les démarches proposées invitent les enfants à:
- Lire pour le plaisir de comprendre une histoire, apprendre et garder en mémoire, trouver la solution d’un problème de maths et, enfin, agir.
- Entrer dans les livres avec confiance et endurance.
- Mettre en mots sa pensée avec précision.
- Découvrir comment fonctionne la langue: la mise en scène grammaticale.
- Apprendre à distinguer le vrai du faux.
- Jouer, jongler avec les mots.
Site gratuit: https://desir-apprendre.fodem-descartes.fr
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