
«L’accumulation de dette de la part des entreprises et des gouvernements, et des comportements prudents de la part des ménages, vont bloquer toute forme de renforcement du cycle d’investissement global», prévient Alexis Garatti, directeur de la recherche macroéconomique Euler Hermes (Ph. EH)
- L’Economiste: A quelques semaines de la fin de 2019, quels sont les enseignements que vous en tirez?
- Alexis Garatti: L’année a été marquée par l’occurrence d’un choc macroéconomique d’ampleur globale. La réorientation fondamentale de la politique commerciale américaine, qui s’est matérialisée par la mise en place de droits de douane plus élevés, notamment vis-à-vis de la Chine, a créé un énorme choc d’incertitude. Le droit de douane moyen américain a augmenté de 3,5% avant l’arrivée du président Trump au pouvoir à plus de 8% à l’heure actuelle. Au total, entre l’impact direct sur le commerce global et l’impact indirect sur l’investissement à cause de l’incertitude, les initiatives protectionnistes américaines ont retranché 0,5 point de pourcentage à la croissance globale qui est attendue à 2,5% en 2019 en comparaison de 3,1% en 2018. Ce mouvement protectionniste s’est associé à une hausse du risque politique qui est né d’une demande de redistribution beaucoup plus forte observée à un niveau global. Le dernier élément perturbateur a trait aux difficultés de l’industrie automobile qui a fait face à un choc de régulation en Allemagne. Tous ces éléments nous laissent penser que nous évoluons aujourd’hui dans un cycle que nous pourrions désigner comme étant il-libéral. Ses principales caractéristiques pourraient être les suivantes:
- Remise en cause généralisée du consensus de Washington sur les bienfaits du libre-échange et du laisser-faire économique;
- Multiplication des initiatives protectionnistes et unilatérales;
- Rejet des organisations internationales et du multilatéralisme en général;
- Poids croissant des revendications sociales et environnementales;
- Augmentation significative du risque politique. Ce dernier est à son plus haut niveau global depuis 1998.
- Sur les performances des économies, comment cela va-t-il se traduire?
- Les facteurs éminemment politiques continueront de peser sur la croissance qui est attendue à 2,4% en 2020. Cette absence de rebond significatif, malgré une vague d’initiatives d’assouplissement de la part des principales banques centrales du monde, va s’expliquer par un contexte de dette et d’incertitude élevées. L’accumulation de dette de la part des entreprises et des gouvernements, et des comportements prudents de la part des ménages, vont bloquer toute forme de renforcement du cycle d’investissement global. Les activités manufacturières vont souffrir dans une plus grande mesure tandis que les activités de consommation et de service vont être au mieux résilientes grâce à des initiatives de soutien de la demande interne (censées favoriser l’absorption du choc externe) qui prennent principalement la forme de baisses de taux. Cette configuration est favorable à la stabilisation de la croissance à court terme, mais favorise le gonflement des bulles (de crédit) à moyen terme.

- Comment les tensions entre la Chine et les Etats-Unis vont-elles continuer à peser sur l’économie mondiale?
- La trêve commerciale (ou «la phase 1 d’un accord») entre la Chine et les Etats- Unis ne devrait offrir qu’un répit temporaire aux marchés. Cela ne signifiera pas selon nous un changement réel pour l’économie globale. Alors qu’au moment de la rédaction de ce rapport, nous ne savons toujours pas la véritable portée de cet accord, nous pouvons d’ores et déjà être sûrs que, même avec une atténuation temporaire de certaines tensions, le «mini-deal» n’entraînera pas un retour au niveau de droit de douane américain moyen antérieur à l’arrivée du président Trump au pouvoir.
Les États-Unis ne devraient pas revenir en arrière sur les droits de douane déjà mis en place. Ces derniers, s’appliquant sur un montant de 250 milliards de dollars de produits chinois importés, n’ont pas augmenté à 30% le 15 octobre, mais sont restés à leur niveau de 25%. De plus, la hausse de droits de douane de 15% en septembre sur environ 110 milliards de dollars reste en vigueur. La hausse tarifaire prévue pour le 15 décembre (d’un montant de 160 milliards de dollars impactant les smartphones et des jouets font parties) ne devrait pas avoir lieu. Les concessions chinoises ont trait à des nouvelles lois de propriété intellectuelle, d’investissement, ainsi qu’à la création de nouvelles cours de justice liées à la propriété intellectuelle. Les Etats-Unis pourraient retirer leur accusation de manipulateur de devises à l’égard de la Chine.

Le droit de douane moyen aux Etats-Unis est passé de 7,6% à 8% au 1er septembre, et devrait rester proche de ces niveaux au-delà de 2020
- Quelle issue entrevoyez-vous dans ce bras de fer?
- La Chine a déjà repris l’achat de soja et a commencé à acheter du porc américain en grand quantité. Bien que le président Trump se soit fixé comme objectif de doubler ces achats, tout indique que la Chine achètera tout simplement à des niveaux observés avant le début de la guerre commerciale. Des engagements d’achats de nouveaux avions commerciaux américains et du gaz naturel sont probables. La Chine a également réitéré son engagement à lever les plafonds de participation des sociétés étrangères au capital des entreprises dans les services financiers. La création d’un mécanisme de résolution des litiges est également envisagée.
La partie la plus difficile des négociations reste devant nous: les prochaines phases (2, 3, et potentiellement plus) devraient traiter en profondeur l’accès au marché, la protection de la propriété intellectuelle, les subventions industrielles de la Chine, les sanctions américaines sur Huawei et les entreprises de surveillance chinoises. Il est donc peu probable qu’un accord compréhensif ait lieu avant les élections présidentielles américaines de 2020. La Chine va essayer de gagner du temps d’ici-là.
Propos recueillis par Franck FAGNON
Présidentielle américaine: Quitte ou double pour la Chine?
LE conflit sino-américain peut avoir une triple influence sur la présidentielle américaine. La première conséquence a trait aux objectifs de cette politique commerciale protectionniste de la part des Etats-Unis, c’est-à-dire réduire le déficit de la balance commerciale américaine, favoriser le rapatriement des activités industrielles sur le sol américain, favoriser l’emploi manufacturier et booster la croissance américaine.
De ce point de vue, on ne peut faire au mieux qu’un constat de résultat clairement en demi-teinte. Certes le taux de chômage reste à un niveau historiquement bas de 3,6%. Néanmoins, la croissance n’a pas cessé de décélérer suite à la vague d’initiatives protectionnistes, avec des activités industrielles qui souffrent dans une plus grande mesure.
Les travailleurs de l’industrie, ainsi que les agriculteurs (durement touchés par les mesures de rétorsion chinoises), qui représentent le coeur de l’électorat américain en faveur du président Trump, souffrent relativement plus. Une forme de déception de cet électorat traditionnellement républicain pourrait émerger au cours de la présidentielle américaine.
Le déficit commercial américain, quant à lui, reste désespérément fixé à 2,5% du PIB, la politique de dépréciation du Renminbi ayant, comme anticipé par la théorie économique, neutralisé les effets de cette politique de hausse des droits de douane.
Le deuxième canal à travers lequel les tensions sino-américaines pourraient jouer a trait à l’équilibre géostratégique de la zone Asie-Pacifique. Les Etats-Unis se sont retrouvés écartés des initiatives d’intégration commerciale dans cette zone et laissé l’initiative dans ce domaine au Japon et à la Chine. La stratégie du pivot initiée par le président Obama s’est vue radicalement transformée par le président Trump avec des effets qui sont encore difficiles à estimer.
Cependant, l’approche protectionniste des Etats-Unis a remis en cause des liens historiques avec leurs alliés traditionnels (qui se sont quelque fois rapprochés de la Chine ou de la Russie), mettant en balance les considérations de sécurité, d’équilibre des pouvoirs et enjeux commerciaux.
Cette confusion des genres a isolé quelque peu les Etats-Unis sur la scène internationale. Les électeurs américains pourraient être amenés à juger sévèrement la remise en cause de ces liens historiques avec leurs traditionnels alliés et porter un regard sévère sur les résultats obtenus sur le plan de la politique étrangère.
Le dernier point a trait au scénario de la procédure d’impeachment qui a été activée au sein de la Chambre basse américaine. Le président Trump pourrait être incité à utiliser la politique commerciale comme un contre-feu, notamment dans un contexte où sa popularité se verrait impactée par les affaires internes.
C’est l’une des raisons principales pour lesquelles nous n’attendons pas de progrès significatif quant aux négociations sino-américaines dans le domaine, même si le président américain aura à coeur de démontrer sa capacité à négocier de bons accords au niveau international.
La dette des entreprises, un foyer à risque
La taille de la dette des entreprises non financières américaines a atteint un record historique au premier trimestre de 2019, atteignant un niveau de 74,9% du PIB. Ce ratio s’établit à 104,8% pour la zone euro et 100,6% pour les pays émergents dans leur ensemble. Ce niveau d’endettement est problématique dans la mesure où la qualité du crédit s’est globalement détérioré, comme le révèle par exemple le poids important des obligations notées BBB au sein du segment investissement grade. De plus, il existe un lien étroit entre dette publique et privée, la complaisance des Etats et les politiques non conventionnelles des banques centrales incitant les investisseurs internationaux à prendre de plus en plus de risques. Dans cet environnement, un évènement de crédit (défaut) concernant une grosse entreprise américaine par exemple pourrait avoir des répercussions globales.
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