
Ici en conférence pour les étudiants de l’Ecole supérieure de journalisme et de communication (appartenant à L’Economiste). Driss Guerraoui est professeur à l’Université Mohammed V-Agdal de Rabat. Il a été conseiller auprès de trois Premiers ministres, El Youssoufi, Jettou et El Fassi, avant d’être nommé Secrétaire général du CESE, puis président du Conseil de la concurrence. Le Pr. Guerraoui a publié une dizaine de livres liés à ses recherches universitaires. Il a constitué à travers l’Université Ouverte de Dakhla, dont il est fondateur et président, un réseau africain et international de chercheurs et d’experts de haut plan sur les questions d’intelligence territoriale et économique (Ph. Fadwa Alnasser)
La situation sociale des populations en milieu rural, dans les nouvelles villes périurbaines et dans les quartiers périphériques rend urgente la mise en place d’une stratégie nationale intégrée de lutte contre les inégalités. Actuellement, les actions sociales et de solidarité offrent l’image d’une politique éclatée, dispersée et non intégrée, portée par une multitude d’intervenants, eux-mêmes relevant de divers statuts, allant des départements ministériels aux agences spécialisées, et à quelques fondations dédiées.
Sans pilotage institutionnel réellement unifié, ces programmes souffrent d’un réel déficit de cohérence et de convergence qui génère des déperditions car les ressources humaines et matérielles ne sont pas mutualisées. Il s’agit du dysfonctionnement le plus marquant de la gouvernance de la politique nationale de l’action sociale et de solidarité.
Toutes proportions gardées et à l’exception des projets relevant de l’Initiative nationale de Développement humain (qui obéissent à des mécanismes et procédures de contrôle, de suivi et d’évaluation), de nombreux programmes de lutte contre la pauvreté sont grevés de déviances préjudiciables à l’efficacité sur la situation sociale des bénéficiaires.
On peut compter que plus de 50% du budget de l’Etat est investi dans des actions sociales. On mesure l’ampleur du manque à gagner caractérisant la gestion de l’action publique en matière de lutte contre la pauvreté et de réduction des inégalités.
L’efficacité de ces programmes en est affectée, malgré la réduction du taux de pauvreté constaté par le Haut-commissariat au Plan et l’Observatoire national de Développement humain durant les deux dernières décades.
Car, cette réduction n’a pas empêché l’acroissement des inégalités entre les couches sociales, les territoires, le genre, et les personnes à besoins spécifiques (handicapés, personnes âgées, enfants abandonnés). Ces inégalités, aggravées par la crise profonde de l’école, ont impulsé un blocage en termes de mobilité sociale avec notamment la perte de la confiance des jeunes, des classes moyennes et des pauvres en l’avenir de leurs statuts respectifs.

Le drame de Sidi Boulaâlam, le 20 novembre dernier, où 15 femmes ont péri écrasées par une foule hors de contrôle montre que la pauvreté n’est pas que matérielle mais aussi sociale, organisationnelle… (Ph. AFP)
Elles offrent l’image d’un Maroc à plusieurs vitesses sociales. Les seules alternatives qui s’offrent aux pauvres sont les métiers du secteur informel, les activités illicites et trafics de tous genres… Tout cela s’inscrit dans un contexte où les réseaux traditionnels de solidarité sont en décomposition rapide du fait de «la violence de l’argent». L’insertion du Maroc dans le monde des images satellitaires et du numérique nourrit les frustrations consuméristes des couches pauvres.
Le ciblage reste une question pertinente. Malgré les avancées à travers la (mesure de la pauvreté multidimensionnelle, une carte de la pauvreté élaborée par le HCP), le chantier du ciblage mérite d’être approfondi au regard de deux données majeures. La première concerne la définition d’un seuil de pauvreté correspondant à la réalité sociale actuelle du Maroc(1).

Un phénomène apparaît avec l’émergence de nouveaux pauvres: fonctionnaires, salariés, paysans sans terres, diplômés chômeurs, étudiants, femmes chefs de ménages, retraités, travailleurs des secteurs informels, migrants et des personnes à besoins spécifiques (handicapés et personnes âgées notamment).
Le ciblage est donc à repenser à l’aune de l’état actuel du pouvoir d’achat des citoyens et de l’évolution du coût de la vie qu’a connu le Maroc depuis la mise en place de l’indice de mesure de la pauvreté par le système des Nations Unies au milieu des années 80. C’est ainsi que l’on peut apprécier l’efficacité des programmes eu égard aux mécanismes de ciblage qui en découleraient.
Cet horizon offre des perspectives prometteuses en matière de lutte efficace et pérenne contre l’extrême pauvreté et de réduction généralisée des inégalités sociales.
Les institutions nationales dédiées doivent approfondir cette piste. L’identifiant unique sur lequel travaille actuellement le Ministère de l’Intérieur constitue un préalable et un outil essentiel pour la définition de la stratégie nationale intégrée de lutte contre les inégalités.
Les deux politiques
Une première politique regroupe les politiques publiques appuyées sur la deuxième génération des droits de l’Homme (droits économiques et sociaux, de la Constitution de 2011). Ainsi la mobilité sociale qui est favorisée par la formation professionnelle, l’acquisition de compétences et de qualifications renforçant l’employabilité. L’inclusion sociale s’acquiert par l’offre de services sociaux de base garantissant l’accès aux conditions de la pleine citoyenneté (santé, logement, infrastructures de transport, de culture, de sport, de loisir et de vie dans un environnement sain). Enfin, il faudra veiller au climat des affaires pour libérer les énergies à effet d’entraînement en termes de création de richesses par l’auto-emploi. Il s’agit dans ce dernier cas de faire des populations ciblées les acteurs du changement de leur propre situation sociale.
L’autre type de politique prend appui sur la réflexion mondiale menée actuellement par le système des Nations Unies* concernant la mise en place d’un revenu universel de base. Ce revenu peut remplacer et compléter les systèmes nationaux de protection sociale existants.-----------------------------------------------------------------
* Cette réflexion, qui a été entamée par le Conseil des Droits de l’Homme des NU, est consignée dans le Rapport du Rapporteur spécial sur les Droits de l’Homme et l’extrême pauvreté, de juin 2017.
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(1) Un indicateur de 1 dollar en parité du pouvoir d’achat par personne, pour définir l’état de pauvreté absolue et de 2 dollars pour les pauvres relatifs n’est plus en phase avec l’état social du Maroc de 2017.
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