
Jean-Pierre Chauffour, économiste principal pour la région Mena à la Banque mondiale: «Dans un schéma de régime de change fixe, les réserves en devises fluctuent en fonction de l’équilibre épargne-investissement» (Ph. L’Economiste)
Avec plus de 251 milliards de dirhams de réserves de changes, le Maroc dispose d’un matelas assez confortable. Le choc pétrolier de 2014-2015 s’est apparenté à un choc positif des termes de l’échange, selon Jean-Pierre Chauffour, économiste principal pour la région Mena à la Banque mondiale. «Les déficits de la balance des paiements ne sont pas principalement liés à l’ouverture du pays mais à la gestion macroéconomique des finances publiques et de la monnaie», assure-t-il.
- L’Economiste: Les réserves de changes sont à plus de 7 mois d’importation. Comment interpréter cette embellie?
- Jean-Pierre Chauffour: L’amélioration des réserves de changes reflète celle de la balance des paiements, qui elle-même traduit l’amélioration des finances publiques. Toutes choses égales par ailleurs, la réduction du déficit budgétaire de l’Etat de 7,4% du PIB en 2012 à 3,5% du PIB (prévisions pour 2016) a contribué à diminuer le déséquilibre épargne-investissement du pays; c’est-à- dire le déséquilibre du compte courant de la balance des paiements. Au cours de la période 2013-2015, les exportations de biens et services ont crû au rythme annuel de 5,2% alors que les importations régressaient de 3,7%. Il en a découlé une nette amélioration du taux de couverture des importations et un rééquilibrage de la balance commerciale.
Le niveau des réserves de changes est ainsi le thermomètre de la gestion macroéconomique du pays. Que les déficits budgétaires se creusent, comme pendant la période 2009-2012, et ce sont les déficits extérieurs (commercial et du compte courant) qui prennent la même direction. Qu’ils s’améliorent, comme depuis 2013, et les comptes extérieurs retrouvent des couleurs.
Au passage, le parallélisme dans l’évolution des déficits vient confirmer que les déficits de la balance des paiements ne sont pas principalement liés à l’ouverture du pays, comme cela avait été avancé par de nombreux observateurs au début des années 2010, mais à la gestion des finances publiques et de la monnaie.
- Quel est l’impact de la baisse du cours du pétrole sur les réserves en devises?
- La baisse des cours internationaux des produits pétroliers a sans aucun doute aidé au rétablissement des réserves de changes. Pour le Maroc, le choc pétrolier de 2014-2015 s’est apparenté à un choc positif des termes de l’échange. Là aussi, toutes choses égales par ailleurs, les Marocains et Marocaines ont vu le pouvoir d’achat de leurs exportations s’améliorer en termes d’importations. Ils ont pu ainsi consacrer davantage de leurs revenus à consommer des produits domestiques. Ceci contraste fortement avec la période précédente caractérisée par des cours élevés du pétrole dans un contexte de compensation. Au cours de cette période, le choc négatif des termes de l’échange ne s’était pas traduit par une baisse du pouvoir d’achat des ménages et de leurs importations (en raison de la compensation) mais par une baisse des réserves de changes et un endettement public supplémentaire. La libéralisation du prix des produits pétroliers devrait désormais davantage protéger les réserves de changes des fluctuations des cours internationaux du pétrole.
- La baisse des flux d’IDE et la reprise du cours des matières premières, représentent-elles un danger?
- Vous aurez noté la précaution de langage ci-dessus par rapport à un raisonnement «toutes choses égales par ailleurs». Or s’agissant des réserves de changes, toutes les choses ne sont pas nécessairement égales par ailleurs. Toute politique monétaire et de change fait nécessairement un arbitrage entre volume (les réserves de changes) et prix (le taux de change). Autrement dit, lorsque la Banque centrale fixe le taux de change, les réserves de changes fluctuent en fonction de l’équilibre épargne-investissement du pays. Inversement, la Banque centrale peut décider du niveau de réserves souhaitables et laisser le taux de change trouver son équilibre. Bank Al-Maghrib a initié ces dernières années une réflexion dans ce sens sur l’opportunité d’opérer une transition graduelle vers la flexibilité du régime de change et un passage à une politique dite de «ciblage d’inflation», qui lui permettrait de mieux ancrer les anticipations et de rehausser sa contribution au développement économique. Avec l’ensemble des pré requis réunis pour une transition en douceur, cette réflexion devrait désormais pouvoir se traduire en action.
Propos recueillis par
Khadija MASMOUDI
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